Protéger les réfugiés ou se protéger des réfugiés?

 

Les politiques d’asile et d’immigration des Etats membres de l’Union Européenne seront des thèmes majeurs de la Présidence Belge. L’harmonisation de ces politiques concorde avec le cinquantième anniversaire de la Convention de Genève garantissant le statut et les droits des réfugiés. Elle concorde aussi avec une Belgique en manque d’autorité morale pour assurer un leadership ambitieux dans ce domaine : la mise au frigo de la révision de la loi belge, les ratés du processus de régularisation, les sérieux cafouillages de l’accueil des réfugiés de ce début d’année, des expulsions hasardeuses,… la liste est longue.

 

Pourtant, le débat sur l’accueil et la protection des réfugiés reste fondamental. Pendant la guerre froide, nos sociétés accueillaient ouvertement les réfugiés traversant le rideau de fer. La disparition en 1989 de cette dynamique “politique” a poussé l’Union Européenne à assimiler migrants économiques et réfugiés en quête de protection dans le fourre-tout de l’immigration zéro, justifiant la mise en place de la forteresse Europe au travers de mesures essentiellement répressives.

 

Mais finalement, de quoi nous plaignons-nous? Des centaines de milliers de réfugiés somaliens ont trouvé asile au Kenya début des années 90. Il en va de même pour les Burundais fuyant  les massacres de 1993 et trouvant refuge chez le voisin rwandais. La question de l’accueil n’est pas qu’un problème européen et les proportions qu’il peut prendre ailleurs sont sans commune mesure avec la réalité belge ou européenne, ni avec nos moyens!

 

Le concept de protection des réfugiés est en perte de vitesse dans nos pays. La Convention de Genève prévoit que traverser une frontière pour chercher refuge n’est pas punissable (article 31), même si cette traversée se fait de manière illégale (sans visa par exemple). En Belgique, comme dans d’autres pays européens, des demandeurs d’asile, arrivés chez nous sans documents d’identité, peuvent pourtant être détenus dans un centre fermé.

 

Depuis juin 2000, plus de 200.000 Afghans ont fui le régime taliban pour trouver asile et protection au Pakistan, venant ainsi s’ajouter aux 2.200.0000 Afghans déjà dans ce pays. Seule une infime partie des demandeurs d’asile afghans s’est dirigée vers le territoire de l’Union. Les Etats membres prévoiraient pourtant de les expulser vers le Pakistan. Ce dernier aurait quant à lui le projet de renvoyer des Afghans chez eux. La communauté internationale n’y trouve rien à redire, malgré la guerre, la famine ou les beaux discours dénonçant l’obscurantisme ou le sort des femmes.

 

La communauté internationale va encore plus loin : elle favorise une politique qui vise à maintenir les personnes persécutées dans leur propre pays. Au lieu d’obtenir le statut de réfugiés, ces personnes deviennent ainsi des victimes sans droit de fuite. C’est la négation même de la Convention mais c’est pourtant cette même politique qui a été appliquée en 1991 aux Kurdes iraquiens.

 

Une victime de persécutions, si elle parvient à quitter son pays, risque donc d’être refoulée à l’entrée du pays d’accueil, d’être perçue comme criminelle ou encore expulsée. Inutile dès lors de s’étonner de l’existence de filières mafieuses qui exploitent le désespoir de ceux qui n’ont plus rien à perdre… La réduction d’une politique d’asile à la lutte contre ces filières est un raccourci démagogique.

 

Dans ce cadre, le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies (HCR) est une organisation essentielle. Garant de la Convention de Genève, il n’est pourtant que la synthèse de la bonne ou mauvaise volonté des Etats membres à soutenir son mandat. Et ce soutien est en déliquescence : la marginalisation actuelle du HCR sur la scène internationale va de pair avec son étranglement financier.

 

Tout le monde sait, les politiques comme les militaires, que l’assistance aux réfugiés est médiatique (et politiquement rentable) mais que leur protection est un exercice autrement plus délicat. Pourquoi les bailleurs de fonds du HCR continueraient-ils à financer une organisation sensée travailler à la protection des réfugiés alors qu’au même moment ils développent des logiques non plus pour protéger les réfugiés mais pour se protéger des réfugiés ?

 

Il faudra un leadership politique fort du gouvernement belge pour que le droit des personnes persécutées soit mieux respecté dans nos sociétés. Il faudra regarder au-delà de nos propres frontières pour ne pas rejouer la pièce connue de l’Empire confronté aux nouveaux barbares. Notre gouvernement le pourra-t-il ? Le voudra-t-il ?

 

 

Alex Parisel

Directeur de Médecins Sans Frontières