DEUXIÈME
SECTION
AFFAIRE O. c. ITALIE
(Requête
no 37257/06)
ARRÊT
STRASBOURG
24 mars 2009
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à
l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de
forme.
En l'affaire O. c. Italie,
La Cour européenne des droits de l'homme
(deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Françoise
Tulkens, présidente,
Ireneu
Cabral Barreto,
Vladimiro
Zagrebelsky,
Danutė
Jočienė,
Dragoljub
Popović,
András
Sajó,
Işıl
Karakaş, juges,
et de Sally Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3
mars 2009,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette
date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de
l'affaire se trouve une requête (no 37257/06) dirigée contre la
République italienne et dont un ressortissant tunisien, M. O. (« le
requérant »), a saisi la Cour le 15 septembre 2006 en vertu de l'article
34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (« la Convention »). Le président de la chambre a
accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le
requérant (article 47 § 3 du règlement).
2. Le requérant est
représenté par Mes N. Zorzella et M. Balboni, avocats à
Bologne. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») est représenté
par son agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent
adjoint, M. N. Lettieri.
3. Le requérant
allègue en particulier que la mise à exécution de la décision de l'expulser
vers la Tunisie violerait les articles 3 et 8 de la Convention et que la
validation de cette décision ne reposait pas sur des motifs de sécurité
nationale.
4. Le 16 octobre
2006, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête
au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, il a
en outre été décidé que la chambre se
prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l'affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5. Le requérant
est né en 1960 et réside à Bologne.
A. Les investigations à l'encontre du
requérant en Italie et la tentative de l'expulser
6. Le requérant réside en Italie depuis septembre 1987.
7. En 1997, des
investigations furent entamées sur l'activité d'un réseau islamiste armé. Elles
visaient le requérant et trente-neuf autres personnes. Par un arrêt du 21
novembre 2000, le juge des investigations préliminaires du tribunal de Bologne
relaxa le requérant du chef d'appartenance à une association terroriste. Par la
suite, le 13 janvier 2003, le tribunal de Bologne acquitta le requérant
également des chefs d'appartenance à une association de malfaiteurs et de faux
en écritures, et le condamna à une peine de six mois d'emprisonnement pour
exercice arbitraire de ses propres droits avec actes de violence sur autrui (« esercizio
arbitrario delle proprie ragioni con violenza alle persone », article 393 du code pénal).
8. Le 31 octobre 2005, le préfet (« Questore ») de Bologne refusa de renouveler son permis de séjour et de travail, qui avait expiré le 13 août 2005.
9. En février
2006, le requérant fut arrêté dans le cadre d'une nouvelle enquête de police
concernant une association de type terroriste. Le 11 avril 2006, le juge des
investigations préliminaires de Bologne rejeta la demande de placement de l'intéressé
en détention provisoire présentée par le parquet, au vu de l'absence d'indices
graves qu'il fût coupable de terrorisme international. Le 27 juin 2006, la
chambre du tribunal de Bologne chargée de réexaminer les mesures de précaution
(« tribunale della
libertà e del riesame ») rejeta l'appel du parquet.
10. Le 1er septembre
2006, le ministre des Affaires intérieures ordonna l'expulsion du requérant
vers la Tunisie en vertu de l'article 3 de la loi no 144 de
2005 (intitulée « Mesures urgentes pour combattre le terrorisme
international »).
11. Observant qu'il
ressortait du dossier que le requérant avait joué un rôle significatif dans des
organisations impliquées dans la conception de projets subversifs et qu'il
avait agi dans le but d'atteindre les objectifs desdites organisations, le
ministre conclut que ce son comportement, par lequel le requérant prêtait
assistance au terrorisme islamiste, constituait un trouble à l'ordre public et
un danger pour la sûreté nationale.
12. Le 12 septembre 2006, le requérant fut transféré au centre de rétention provisoire (Centro di Permanenza Temporanea) de Ponte Galeria, à Rome.
13. Le 14 septembre 2006, il demanda l'octroi du statut de réfugié. Le 22 septembre 2006, il fut entendu par la Commission pour les réfugiés compétente pour décider de sa demande. A cette occasion, il déclara être suspecté de terrorisme par les autorités de son pays d'origine en raison des procédures pénales ouvertes contre lui en Italie. Il en voulait pour preuve le refus des autorités consulaires de Tunisie de renouveler son passeport, qu'il avait égaré en 1999, et l'inscription de son nom sur les listes des personnes suspectées de terrorisme international rédigées à la suite des attentats perpétrés en septembre 2001 aux Etats-Unis. Il estimait donc risquer d'être incarcéré et torturé dès son arrivée en Tunisie, conformément à la pratique des autorités tunisiennes envers les personnes suspectées d'appartenir à des mouvements islamistes, et alléguait que les membres de sa famille étaient également menacés.
14. Par une
décision du 21 septembre 2006, la Commission pour les refugiés rejeta la
demande du requérant, considérant qu'il représentait un danger pour la sûreté
de l'Etat.
15. Entre-temps, le
15 septembre 2006, la décision du ministre des Affaires intérieures d'expulser
le requérant fut validée par le juge de paix de Rome, après que celui-ci en eut
examiné la légalité.
16. A
la demande du requérant, le président de la troisième section a décidé, le 5 octobre 2006, d'indiquer au gouvernement italien, en application de l'article 39
précité, qu'il était souhaitable, dans l'intérêt des parties et du bon
déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas expulser le requérant
vers la Tunisie jusqu'à nouvel ordre. Il a appelé l'attention du Gouvernement
sur le fait que, lorsqu'un Etat contractant ne se conforme pas à une mesure
indiquée au titre de l'article 39 du règlement, cela peut entraîner une
violation de l'article 34 de la Convention (voir Mamatkoulov et Askarov
c. Turquie [GC], nos 46827/99 et
46951/99, §§ 128-129 et point 5 du dispositif, CEDH 2005-I).
B. Les assurances diplomatiques obtenues
par les autorités italiennes
17. Le 29 août
2008, l'Ambassade d'Italie à Tunis adressa au ministère tunisien des Affaires
étrangères la note verbale (no 3124) suivante :
« L'Ambassade d'Italie présente ses
compliments au ministère des Affaires Etrangères et se réfère à ses propres
notes verbales no 2738 du 21 juillet et no 2911 du 6 août
derniers et à la visite en Tunisie de la délégation technique des représentants
des ministères italiens de l'Intérieur et de la Justice, tenue le 24 juillet
dernier, concernant un examen des procédures à suivre au sujet des recours
pendants auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, présentés par des
citoyens tunisiens, ayant fait ou qui pourraient faire l'objet de décrets d'expulsion.
L'Ambassade d'Italie remercie le ministère des
Affaires Etrangères pour la note verbale DGAC no 011998 du 26 août
dernier et par son biais le ministère de la Justice et des droits de l'homme
pour la concrète collaboration manifestée pour le cas de M. Essid Sami Ben
Khemais.
Conformément à ce qui avait été convenu lors de
la réunion du 24 juillet, les autorités italiennes ont l'honneur de soumettre
par voie diplomatique leur requête d'éléments additionnels spécifiques, qui s'avèrent
nécessaires dans le contentieux en cours devant la Cour de Strasbourg entre l'Italie
et les citoyens tunisien cités ci-après (...): (...)
A cet effet, l'Ambassade d'Italie a l'honneur de
demander au ministère des Affaires Etrangères de bien vouloir saisir les
autorités tunisiennes compétentes pour qu'elles puissent fournir par voie
diplomatique les assurances spécifiques sur chacun de ces appelants se
rapportant aux arguments suivants :
- en cas d'expulsion vers la Tunisie de l'appelant,
dont les généralités seront spécifiées, il ne sera pas soumis à des tortures ni
à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;
- qu'il puisse être jugé par un tribunal
indépendant et impartial, selon des procédures qui, dans l'ensemble, seront
conformes aux principes d'un procès équitable et public ;
- qu'il puisse, durant sa détention, recevoir les
visites de ses avocats y compris celui italien qui le représente dans le procès
devant la Cour de Strasbourg, ainsi que des membres de sa famille et d'un
médecin.
Puisque l'échéance pour la présentation des
observations du gouvernement italien à Strasbourg pour lesdits cas est fixée au
19 septembre prochain, l'Ambassade d'Italie saurait gré au ministère des
Affaires Etrangères de bien vouloir lui faire parvenir dans les plus brefs
délais les éléments requis et fondamentaux pour la stratégie de défense du
gouvernement italien et suggère que Mme Costantini, premier
secrétaire de [l']ambassade, puisse se rendre au ministère de la Justice et des
droits de l'homme pour fournir tout éclaircissement opportun.
L'Ambassade d'Italie saurait gré en outre au
ministère des Affaires Etrangères de bien vouloir vérifier si les autorités
tunisiennes compétentes jugeaient opportun que le gouvernement tunisien
participe, pour lesdits recours, aux procédures devant la Cour de Strasbourg,
en tant que tiers, et ce, conformément aux articles 36 [de la Convention], 44
du règlement de la Cour [et] A1 paragraphe 2 de l'annexe au règlement.
L'Ambassade d'Italie remercie d'avance le ministère des Affaires Etrangères pour l'attention qui sera réservée à la présente note et saisit l'occasion pour lui renouveler les assurances de sa haute considération. »
18. Le
5 novembre 2008, les autorités tunisiennes firent parvenir leur réponse,
signée par l'avocat général à la direction générale des services judiciaires.
En ses parties pertinentes, cette réponse se lit comme suit :
« Dans sa note verbale en date du 29 août
2008, telle que complétée par sa note verbale datée du 4 septembre 2008, l'ambassade
d'Italie à Tunis a sollicité, des autorités tunisiennes, les assurances,
ci-après énumérées, concernant les citoyens tunisiens O. [et autres] s'ils
venaient à être expulsés vers la Tunisie.
(...)
III. Concernant les
dénommés O. (...), il convient, au préalable, de préciser qu'ils font l'objet
de jugements par défaut pour infractions terroristes.
Si les intéressés [sont] expulsés vers la
Tunisie, ils seront, dès leur arrivée en Tunisie, présentés à un juge. Ils
pourront alors exercer leur droit à opposition, étant entendu que la
recevabilité de l'opposition en la forme a pour conséquence, en application de
l'article 182 du code de procédure pénale, d'anéantir les jugements attaqués et
de leur permettre d'être jugés à nouveau et de présenter les moyens de défense
qu'ils jugeraient utiles.
Lors de leur comparution devant le juge, les intéressés bénéficieront obligatoirement de l'assistance d'avocats de leur choix. S'il s'avère qu'ils n'en ont pas les moyens, des avocats leur seront commis d'office aux frais de l'Etat. Le juge ordonnera par la suite soit la libération des prévenus soit leur arrestation. Ils jouiront, tout au long de leur procès, de l'ensemble des garanties suivantes :
1. La garantie du respect de la dignité des
intéressés :
Le respect de la dignité des intéressés est garanti, son origine réside dans le principe du respect de la dignité de toute personne quelque soit l'état dans lequel elle se trouve, principe fondamental reconnu par le droit tunisien et garanti pour toute personne et plus particulièrement pour les détenus dont le statut est minutieusement réglementé.
Il est utile à cet égard de rappeler que l'article
13 de la Constitution tunisienne dispose dans son alinéa 2 que « tout
individu ayant perdu sa liberté est traité humainement, dans le respect de sa dignité ».
La Tunisie a par ailleurs ratifié sans réserve
aucune la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle a ainsi reconnu la compétence
du comité contre la torture pour recevoir et examiner les communications
présentées par ou pour le compte des particuliers relevant de sa juridiction
qui prétendent être victimes de violation des dispositions de la Convention
(ratification par la loi no 88-79 du 11 juillet 1988. Journal
Officiel de la République tunisienne no 48 du 12-15 juillet 1988,
page 1035).
Les dispositions de ladite Convention ont été
transposées en droit interne, l'article 101 bis du code pénal définit la torture comme étant « tout acte par
lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle
ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte
qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider
ou de faire pression sur une tierce personne, ou lorsque la douleur ou les
souffrances aiguës sont infligées pour tout autre motif fondé sur une forme de
discrimination [quelle] qu'elle soit ».
Le législateur a prévu des peines sévères pour ce
genre d'infractions, ainsi l'article 101 bis suscité
dispose qu'« est puni d'un emprisonnement de huit ans le fonctionnaire ou
assimilé qui soumet une personne à la torture et ce, dans l'exercice ou à l'occasion
de l'exercice de ses fonctions ».
Il est à signaler que la garde à vue est, selon l'article
12 de la Constitution, soumise au contrôle judiciaire et qu'il ne peut être
procédé à la détention préventive que sur ordre juridictionnel. Il est interdit
de soumettre quiconque à une détention arbitraire. Plusieurs garanties
accompagnent la procédure de la garde à vue et tendent à assurer le respect de
l'intégrité physique et morale du détenu dont notamment :
- Le droit de la personne gardée à vue d'informer,
dès son arrestation, les membres de sa famille.
- Le droit de demander au cours du délai de la
garde à vue ou à son expiration d'être soumis à un examen médical. Ce droit
peut être exercé le cas échéant par les membres de la famille.
- La durée de la détention préventive est réglementée,
son prolongement est exceptionnel et doit être motivé par le juge.
Il y a lieu également de noter que [la] loi du 14
mai 2001 relative à l'organisation des prisons dispose dans son article premier
qu'elle a pour objectif de régir « les conditions de détention dans les
prisons en vue d'assurer l'intégrité physique et morale du détenu, de le
préparer à la vie libre et d'aider à sa réinsertion ».
Ce dispositif législatif est renforcé par la mise
en place d'un système de contrôle destiné à assurer le respect effectif de la
dignité des détenus. Il s'agit de plusieurs types de contrôles effectués par
divers organes et institutions :
- Il y a d'abord un contrôle judiciaire assuré
par le juge d'exécution des peines tenu, selon les termes de l'article 342-3 du
code de procédure pénale tunisien, [de] visiter l'établissement pénitentiaire
relevant de son ressort pour prendre connaissance des conditions des détenus,
ces visites sont dans la pratique effectuées en moyenne à raison de deux fois
par semaine.
- Il y a ensuite le contrôle effectué par le
comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le
président de cette institution nationale indépendante peut effectuer des
visites inopinées aux établissements pénitentiaires pour s'enquérir de l'état
et des conditions des détenus.
- Il y a également le contrôle administratif
interne effectué par les services de l'inspection générale du ministère de la
Justice et des droits de l'homme et l'inspection générale relevant de la
direction générale des prisons et de la rééducation. Il est à noter dans ce
cadre que l'administration pénitentiaire relève du ministère de la Justice et
que les inspecteurs dudit ministère sont des magistrats de formation ce qui
constitue une garantie supplémentaire d'un contrôle rigoureux des conditions de
détention.
- Il faut enfin signaler que le comité
international de la Croix-Rouge est habilité depuis 2005 à effectuer des
visites dans les lieux de détention, prisons et locaux de la police habilités à
accueillir des détenus gardés à vue. A l'issue de ces visites des rapports
détaillés sont établis et des rencontres sont organisées avec les services
concernés pour mettre en œuvre les recommandations formulées par le comité sur
l'état des détenus.
Les autorités tunisiennes rappellent qu'elles n'hésitent
point à enquêter sur toutes les allégations de torture chaque fois qu'il y a
des motifs raisonnables laissant croire qu'un acte de mauvais traitements a été
commis. On citera en illustration deux exemples :
- Le premier exemple concerne trois agents de l'administration
pénitentiaire poursuivis pour voie de fait sur un détenu ; l'enquête
diligentée à cet effet a abouti à la condamnation de trois agents des prisons à
une peine d'emprisonnement de quatre ans chacun (arrêt de la cour d'appel de
Tunis rendu le 25 janvier 2002).
- Le deuxième exemple concerne un agent de police
condamné à 15 ans d'emprisonnement pour coups et blessures volontaires ayant
causé la mort sans intention de la donner (arrêt rendu par la cour d'appel de
Tunis le 2 avril 2002).
Ces deux exemples démontrent que les autorités
tunisiennes ne tolèrent aucun mauvais traitement et n'hésitent pas à engager
les poursuites nécessaires contre les agents de l'application de la loi chaque
fois qu'il y a des motifs raisonnables laissant croire que des actes de telle
nature [ont] été commis.
Les quelques cas de condamnation pour mauvais
traitements ont été signalés dans le rapport présenté par la Tunisie devant le
Conseil des droits de l'homme et devant le Comité des droits de l'homme
dénotant ainsi de la politique volontariste de l'Etat à poursuivre et réprimer
tout acte de torture ou de mauvais traitements, ce qui est de nature à réfuter
toute allégation de violation systématique des droits de l'homme.
En conclusion, il est évident que :
- Si O. [et les autres personnes concernées sont]
expulsés vers la Tunisie, ils seront présentés à un juge et bénéficieront de l'assistance
d'un avocat.
- Les intéressés pourront exercer leur droit à
opposition contre les jugements rendus à leur encontre. La recevabilité de l'opposition
a pour effet d'anéantir tous les effets des jugements et les affaires seront
jugées de nouveau.
- L'autorité judiciaire compétente décidera soit
de la libération soit de l'arrestation des intéressés.
- En tout état de cause, les intéressés
bénéficieront de toutes les garanties que leur offre la législation tunisienne
de nature à leur conférer toute la protection nécessaire contre toute forme d'abus.
2. La garantie d'un procès équitable aux
intéressés :
S'ils [sont] expulsés en Tunisie, les intéressés
bénéficieront de procédures de poursuite, d'instruction et de jugement offrant
toutes les garanties nécessaires à un procès équitable, notamment :
- Le respect du principe de la séparation entre
les autorités de poursuite, d'instruction et de jugement.
- L'instruction en matière de crimes est
obligatoire. Elle obéit au principe du double degré de juridiction (juge d'instruction
et chambre d'accusation).
- Les audiences de jugement sont publiques et
respectent le principe du contradictoire.
- Toute personne soupçonnée de crime a
obligatoirement droit à l'assistance d'un ou plusieurs avocats. Il lui en est,
au besoin, commis un d'office et les frais sont supportés par l'Etat. L'assistance
de l'avocat se poursuit pendant toutes les étapes de la procédure :
instruction préparatoire et phase de jugement.
- L'examen des crimes est de la compétence des
cours criminelles qui sont formées de cinq magistrats, cette formation élargie
renforce les garanties du prévenu.
- Le principe du double degré de juridiction en
matière criminelle est consacré par le droit tunisien. Le droit de faire appel
des jugements de condamnation est donc un droit fondamental pour le prévenu.
- Aucune condamnation ne peut être rendue que sur
la base de preuves solides ayant fait l'objet de débats contradictoires devant
la juridiction compétente. Même l'aveu du prévenu n'est pas considéré comme une
preuve déterminante. Cette position a été confirmée par l'arrêt de la Cour de
cassation tunisienne no 12150 du 26 janvier 2005 par lequel la Cour
a affirmé que l'aveu extorqué par violence est nul et non avenu et ce, en
application de l'article 152 du code de procédure pénale qui dispose que :
« l'aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation
des juges ». Le juge doit donc apprécier toutes les preuves qui lui sont
présentées afin de décider de la force probante à conférer auxdites preuves d'après
son intime conviction.
3. La garantie du droit de recevoir des
visites :
Si l'arrestation des intéressés [est] décidée par
l'autorité judiciaire compétente, ils bénéficieront des droits garantis aux
détenus par la loi du 14 mai 2001 relative à l'organisation des prisons. Cette
loi consacre le droit de tout prévenu à recevoir la visite de l'avocat chargé
de sa défense, sans la présence d'un agent de la prison ainsi que la visite des
membres de leurs familles. Si leur arrestation [est] décidée, les intéressés
jouiront de ce droit conformément à la réglementation, en vigueur et sans
restriction aucune.
Concernant la demande de visite des intéressés
par les avocats qui les représentent dans la procédure en cours devant la Cour
européenne des droits de l'homme, les autorités tunisiennes observent qu'une
telle visite ne peut être autorisée en l'absence de convention ou de cadre
légal interne qui l'autoriserait.
En effet la loi relative aux prisons détermine
les personnes habilitées à exercer ce droit : il s'agit notamment des
membres de la famille du détenu et de son avocat tunisien.
La Convention d'entraide judiciaire conclue entre
la Tunisie et l'Italie le 15 novembre 1967 ne prévoit pas la possibilité
pour les avocats italiens de rendre visite à des détenus tunisiens. Toutefois
les intéressés pourront, s'ils le souhaitent, charger des avocats tunisiens de
leur choix [de] leur rendre visite et de procéder, avec leurs homologues
italiens, à la coordination de leurs actions dans la préparation des éléments
de leur défense devant la Cour européenne des droits de l'homme.
4. La garantie du droit de bénéficier des
soins médicaux :
La loi précitée relative à l'organisation des
prisons dispose que tout détenu a droit à la gratuité des soins et des
médicaments à l'intérieur des prisons et, à défaut, dans les établissement
hospitaliers. En outre, l'article 336 du code de procédure pénale autorise le
juge d'exécution des peines à soumettre le condamné à examen médical.
Si l'arrestation des intéressés [est] décidée,
ils seront soumis à examen médical dès leur admission dans l'unité
pénitentiaire. Ils pourront, d'autre part, bénéficier ultérieurement d'un suivi
médical dans le cadre d'examens périodiques. En conclusion, les intéressés
bénéficieront d'un suivi médical régulier à l'instar de tout détenu et il n'y a
pas lieu de ce fait d'autoriser leur examen par un autre médecin.
Les autorités tunisiennes réitèrent leur volonté
de coopérer pleinement avec la partie italienne en lui fournissant toutes les
informations et les données utiles à sa défense dans la procédure en cours
devant la Cour européenne des droits de l'homme ».
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
19. Les recours qu'il est possible de former contre un arrêté d'expulsion en Italie et les règles régissant la réouverture d'un procès par défaut en Tunisie sont décrits dans Saadi c. Italie ([GC], no 37201/06, §§ 58-60, 28 février 2008).
III. TEXTES ET DOCUMENTS
INTERNATIONAUX
20. On trouve dans
l'arrêt Saadi précité une description des textes,
documents internationaux et sources d'informations suivants : l'accord
de coopération en matière de lutte contre la criminalité signé par l'Italie et
la Tunisie et l'accord d'association entre la Tunisie, l'Union européenne et
ses Etats membres (§§ 61-62) ; les articles 1, 32 et 33 de la
Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés (§
63) ; les lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe
(§ 64) ; les rapports relatifs à la Tunisie d'Amnesty International (§§
65-72) et de Human Rights Watch (§§ 73-79) ; les activités du Comité
international de la Croix-Rouge (§§ 80-81) ; le rapport du Département d'Etat
américain relatif aux droits de l'homme en Tunisie (§§ 82-93) ; les autres
sources d'informations relatives au respect des droits de l'homme en Tunisie (§
94).
21. Après l'adoption
de l'arrêt Saadi, Amnesty International a publié
son rapport annuel 2008. Les parties pertinentes de la section de ce rapport
consacrée à la Tunisie sont relatées dans Ben Khemais c. Italie, no 246/07, § 34, ... 2009).
22. Dans sa
résolution 1433(2005), relative à la légalité de la détention de personnes par
les Etats-Unis à Guantánamo Bay, l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé au gouvernement américain, entre
autres, « de ne pas renvoyer ou transférer les détenus en se fondant sur
des « assurances diplomatiques » de pays connus pour recourir
systématiquement à la torture et dans tous les cas si l'absence de risque de
mauvais traitement n'est pas fermement établie ».
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE
3 DE LA CONVENTION
23. Le requérant
considère que l'exécution de son expulsion l'exposerait à un risque de
traitements contraires à l'article 3 de la Convention. Cette disposition se lit
comme suit :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à
des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
24. Le Gouvernement
s'oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
25. La Cour
constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35
§ 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité.
Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
26. Le requérant
renvoie aux enquêtes menées par Amnesty International et par le Département d'Etat
des Etats-Unis d'Amérique, qui démontreraient qu'en cas d'expulsion vers la
Tunisie, il serait exposé à un risque concret et sérieux de violation des
droits garantis par les articles 2 et 3 de la Convention. Il rapporte également
que l'Association internationale de soutien aux prisonniers politiques a relaté
le cas d'un jeune homme, M. Hichem Ben Said Ben Frej, qui, le 10 octobre
2006, se serait jeté par la fenêtre d'un commissariat peu avant un
interrogatoire. L'avocat de M. Ben Frej aurait expliqué que son client avait
été détenu pendant vingt-cinq jours dans les cellules du ministère des Affaires
intérieures à Tunis, où il avait été sauvagement torturé. Enfin, le requérant
souligne que de nombreux articles de presse dénoncent la condition des détenus
politiques et de leurs familles. Il affirme que tous les Tunisiens accusés en Italie d'activités
terroristes ont subi des violences et des tortures après leur rapatriement.
27. Le requérant
considère que face aux risques sérieux auxquels il serait exposé en cas d'expulsion,
le simple rappel des traités auxquels souscrit la Tunisie ne saurait suffire.
Il soutient que le refus des autorités tunisiennes de renouveler son passeport
démontre qu'il est soupçonné de terrorisme par son pays d'origine. Il déclare
également que sa famille a reçu plusieurs visites de la police et qu'elle a
fait l'objet de menaces et de provocations continuelles.
b) Le Gouvernement
28. Le Gouvernement
souligne que la Tunisie a ratifié les principaux instruments internationaux en
matière de protection des droits de l'homme, y compris le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels et la Convention contre la torture et
autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il rappelle
également qu'en 1995, la Tunisie a signé avec l'Union Européenne un accord d'association
en vertu duquel la question du respect des libertés fondamentales et des
principes démocratiques est un élément du dialogue politique entre les
signataires. Il souligne par ailleurs que les autorités tunisiennes permettent
à la Croix-Rouge internationale de visiter les prisons.
29. De l'avis du
Gouvernement, on peut présumer que la Tunisie ne s'écartera pas des obligations
qui lui incombent en vertu des traités internationaux.
30. De plus, le système juridique italien prévoirait des garanties pour l'individu – y compris la possibilité d'obtenir le statut de réfugié – qui rendraient un refoulement contraire aux exigences de la Convention « pratiquement impossible ».
31. Le Gouvernement
argue encore que les allégations relatives à un danger de mort ou au risque d'être
exposé à la torture ou à des traitements inhumains et dégradants doivent être
étayées par des éléments de preuve adéquats ; et qu'en l'espèce, le
requérant n'a ni produit d'éléments précis à cet égard ni fourni d'explications
détaillées, mais qu'il s'est borné à décrire une situation prétendument
généralisée en Tunisie. Les « sources internationales » citées par le
requérant seraient vagues et non pertinentes, de même que les articles de
presse produits par l'intéressé.
32. Le Gouvernement
renvoie aux assurances diplomatiques fournies par les autorités tunisiennes, en
lesquelles il voit le résultat d'un dialogue intergouvernemental très fructueux.
Ces assurances garantiraient une protection adéquate du requérant contre le
risque de subir, en Tunisie, des traitements interdits par la Convention.
33. Il souligne que les
autorités tunisiennes ont accompagné lesdites assurances d'une « longue et
rassurante explication, en fait et en droit, des raisons pour lesquelles il
faut y croire », et estime que leur bonne foi ne devrait pas être mise en
doute. Il ajoute que le respect effectif de ces assurances pourra être vérifié lors
des contrôles du Comité supérieur des droits de l'homme et de la Croix-Rouge,
ainsi que des visites des avocats et des proches du requérant.
34. Selon le
Gouvernement, l'impossibilité pour le représentant du requérant devant la Cour
de visiter son client s'il était incarcéré en Tunisie s'explique par le fait
que cet Etat n'a pas adhéré à la Convention. Il serait donc raisonnable de ne
pas permettre les visites d'avocats étrangers opérant hors du cadre national et
international dans lequel s'inscrit la Tunisie. A cet égard, le Gouvernement
observe que l'intéressé pourra, s'il le souhaite, donner mandat à des avocats
tunisiens de son choix afin qu'ils procèdent, en collaboration avec leur
homologues italiens, à la préparation de sa défense devant la Cour.
35. De l'avis du
Gouvernement, les assurances données par la Tunisie sont tranquillisantes en ce
qui concerne la sécurité et le bien-être du requérant ainsi que le respect de
son droit à un procès équitable. Soulignant que dans l'affaire Saadi précitée, la Cour elle-même a demandé si de telles assurances avaient
été sollicitées et obtenues, le Gouvernement estime que, sans qu'il soit
question de les remettre en cause, les principes affirmés par la Grande Chambre
doivent être adaptés aux circonstances factuelles particulières du cas d'espèce.
2. Appréciation de la Cour
36. Les principes généraux relatifs à la responsabilité des Etats contractants en cas d'expulsion, aux éléments à retenir pour évaluer le risque d'exposition à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention et à la notion de « torture » et de « traitements inhumains et dégradants » sont résumés dans l'arrêt Saadi (précité, §§ 124-136), dans lequel la Cour a également réaffirmé l'impossibilité de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l'expulsion afin de déterminer si la responsabilité d'un Etat est engagée sur le terrain de l'article 3 (§§ 137-141).
37. La Cour
rappelle les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l'affaire Saadi précité (§§ 143-146), qui étaient les suivantes :
- les textes internationaux pertinents font état de cas nombreux et réguliers de torture et de mauvais traitements infligés en Tunisie à des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de terrorisme ;
- ces textes décrivent une situation
préoccupante ;
- les visites du Comité international de la Croix-Rouge dans les lieux de détention tunisiens ne peuvent dissiper le risque de soumission à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention.
38. La Cour ne voit
en l'espèce aucune raison de revenir sur ces conclusions, qui se trouvent d'ailleurs
confirmées par le rapport 2008 d'Amnesty International relatif à la Tunisie (voir le paragraphe 20 ci-dessus). Elle note de
surcroît qu'en Italie, le requérant a été accusé à deux reprises d'appartenir à
une organisation terroriste intégriste (voir les paragraphes 7 et 9 ci-dessus).
En outre, il ressort des informations fournies par les autorités tunisiennes
que le requérant a été condamné en Tunisie pour appartenance, en temps de paix,
à une organisation terroriste (voir le paragraphe 18 ci-dessus).
39. Dans ces
conditions, la Cour estime qu'en l'espèce, des faits sérieux et avérés
justifient de conclure à un risque réel de voir le requérant subir des
traitements contraires à l'article 3 de la Convention s'il était expulsé vers
la Tunisie (voir, mutatis mutandis, Saadi, précité, § 146). Il reste à vérifier si
les assurances diplomatiques fournies par les autorités tunisiennes suffisent à
écarter ce risque.
40. A cet égard, la Cour rappelle, premièrement, que l'existence de textes internes et l'acceptation de traités internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas, à elles seules, à assurer une protection adéquate contre le risque de mauvais traitements lorsque, comme en l'espèce, des sources fiables font état de pratiques des autorités – ou tolérées par celles-ci – manifestement contraires aux principes de la Convention (Saadi, précité, § 147 in fine). Deuxièmement, il appartient à la Cour d'examiner si les assurances données par l'Etat de destination fournissent, dans leur application effective, une garantie suffisante quant à la protection du requérant contre le risque de traitements interdits par la Convention (Chahal c. Royaume-Uni, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, § 105, 15 novembre 1996). Le poids à accorder aux assurances émanant de l'Etat de destination dépend en effet, dans chaque cas, des circonstances prévalant à l'époque considérée (Saadi, précité, § 148 in fine).
41. En la présente
espèce, l'avocat général à la direction générale des services judiciaires a
assuré que la dignité humaine du requérant serait respectée en Tunisie, qu'il
ne serait pas soumis à la torture, à des traitements inhumains ou dégradants ou
à une détention arbitraire, qu'il bénéficierait de soins médicaux appropriés et
qu'il pourrait recevoir des visites de son avocat et des membres de sa famille.
Outre les lois tunisiennes pertinentes et les traités internationaux signés par
la Tunisie, ces assurances reposent sur les éléments suivants :
- les contrôles pratiqués par le juge d'exécution
des peines, par le comité supérieur des droits de l'homme et des libertés
fondamentales (institution nationale indépendante) et par les services de l'inspection
générale du ministère de la Justice et des Droits de l'homme ;
- deux cas de condamnation d'agents de l'administration
pénitentiaire et d'un agent de police pour mauvais traitements ;
- la jurisprudence interne, aux termes de
laquelle un aveu extorqué sous la contrainte est nul et non avenu.
42. La Cour note,
cependant, qu'il n'est pas établi que l'avocat général à la direction générale
des services judiciaires était compétent pour donner ces assurances au nom de l'Etat
(voir, mutatis mutandis, Soldatenko c. Ukraine, no 2440/07, § 73, 23 octobre 2008). De plus,
compte tenu du fait que des sources internationales sérieuses et fiables ont
indiqué que les allégations de mauvais traitements n'étaient pas examinées par
les autorités tunisiennes compétentes (Saadi, précité, § 143), le simple rappel de deux cas de condamnation d'agents
de l'Etat pour coups et blessures sur des détenus ne saurait suffire à écarter
le risque de tels traitements ni à convaincre la Cour de l'existence d'un
système effectif de protection contre la torture, en l'absence duquel il est
difficile de vérifier que les assurances données seront respectées. A cet
égard, la Cour rappelle que dans son rapport 2008 relatif à la Tunisie, Amnesty
International a précisé notamment que, bien que de
nombreux détenus se soient plaints d'avoir été torturés pendant leur garde à
vue, « les autorités n'ont pratiquement jamais mené d'enquête ni pris
une quelconque mesure pour traduire en justice les tortionnaires
présumés ».
43. De plus, dans l'arrêt
Saadi précité (§ 146), la Cour a constaté une
réticence des autorités tunisiennes à coopérer avec les organisations
indépendantes de défense des droits de l'homme, telles que Human Rights Watch.
Dans son rapport 2008 précité, Amnesty International a par ailleurs noté que,
bien que le nombre de membres du comité supérieur des droits de l'homme ait été
accru, celui-ci « n'incluait pas d'organisations indépendantes de défense
des droits fondamentaux ». L'impossibilité pour le représentant du
requérant devant la Cour de rendre visite à son client s'il était emprisonné en
Tunisie confirme la difficulté d'accès des prisonniers tunisiens à des conseils
étrangers indépendants même lorsqu'ils sont parties à des procédures
judiciaires devant des juridictions internationales. Ces dernières risquent
donc, une fois un requérant expulsé en Tunisie, de se trouver dans l'impossibilité
de vérifier sa situation et de connaître d'éventuels griefs qu'il pourrait
soulever quant aux traitements auxquels il est soumis (Ben Khemais, précité, § 63).
44. Dans ces
circonstances, la Cour ne saurait souscrire à la thèse du Gouvernement selon
laquelle les assurances données en la présente espèce offrent une protection
efficace contre le risque sérieux que court le requérant d'être soumis à des
traitements contraires à l'article 3 de la Convention (voir, mutatis
mutandis, Soldatenko précité,
§§ 73-74). Elle rappelle au contraire le principe affirmé par l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa résolution 1433(2005), selon
lequel les assurances diplomatiques ne peuvent suffire lorsque l'absence de
danger de mauvais traitement n'est pas fermement établie (voir le paragraphe 22
ci-dessus).
45. Partant, la
décision d'expulser l'intéressé vers la Tunisie violerait l'article 3 de la
Convention si elle était mise à exécution.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE
8 DE LA CONVENTION
46. Le requérant
allègue que son expulsion vers la Tunisie le priverait des liens affectifs
instaurés au cours des nombreuses années qu'il a passées en Italie. Il invoque
l'article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au
respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une
autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette
ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une
société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique,
au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la
prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la
morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
47. Le Gouvernement
considère que ce grief ne saurait être retenu.
48. La Cour
considère que ce grief est recevable (Saadi,
précité, § 163). Cependant, ayant constaté que l'expulsion du requérant vers la
Tunisie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention (voir le
paragraphe 45 ci-dessus) et n'ayant aucun motif de douter que le gouvernement
défendeur se conformera au présent arrêt, elle n'estime pas nécessaire de
trancher la question hypothétique de savoir si, en cas d'expulsion vers la Tunisie,
il y aurait aussi violation de l'article 8 de la Convention (Saadi, précité, § 170).
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES
1 DU PROTOCOLE No 7 ET 13 DE LA CONVENTION
49. Le requérant rappelle être un
« étranger résidant régulièrement » en Italie et allègue que la mise
à exécution de la décision de l'expulser violerait l'article 1 du Protocole no
7. Invoquant également l'article 13 de la Convention, il considère qu'il n'a pas bénéficié de
la possibilité de faire valoir les raisons militant contre son expulsion. Ces dispositions sont ainsi libellées :
Article 1 du Protocole no 7
« 1. Un étranger résidant
régulièrement sur le territoire d'un Etat ne peut en être expulsé qu'en
exécution d'une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :
a) faire valoir les raisons qui
militent contre son expulsion,
b) faire examiner son cas, et
c) se faire représenter à ces fins
devant l'autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette
autorité.
2. Un étranger peut être expulsé avant
l'exercice des droits énumérés au paragraphe 1 a), b) et c)
de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l'intérêt de l'ordre
public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés
reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un
recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation
aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions
officielles. »
50. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il soutient que le requérant a bénéficié des garanties procédurales requises par le Protocole no 7 dans la mesure où il a été représenté par un conseil de son choix qui a pu faire valoir devant le juge de paix les raisons militant contre l'expulsion. Il ajoute que l'expulsion en question reposait sur des motifs de sécurité nationale et d'ordre public.
51. La Cour observe que l'expulsion du requérant, ordonnée par le ministre des Affaires intérieures, a été examinée par le juge de paix de Rome, qui pouvait soit l'annuler soit la valider (voir le paragraphe 15 ci-dessus). Devant cette juridiction, l'intéressé a joui de garanties procédurales suffisantes et eu la possibilité de présenter tous les arguments militant contre son expulsion.
52. La Cour rappelle en outre que le droit à un recours efficace au sens de l'article 13 de la Convention ne saurait être interprété comme donnant droit à ce qu'une demande soit accueillie dans le sens dans lequel l'entend l'intéressé (Surmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 98, 8 juin 2006).
53. Dans ces
circonstances, aucune apparence de violation des articles 1 du Protocole no
7 et 13 de la Convention ne saurait être décelée.
54. Il s'ensuit
que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être
rejetée en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
55. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette
violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction
équitable. »
A. Dommage
56. Le requérant
sollicite une indemnisation pour le dommage moral qu'il estime avoir subi en
raison de la violation, sans toutefois chiffrer ses prétentions.
57. Le Gouvernement
s'y oppose.
58. La Cour estime
que le constat que l'expulsion, si elle était menée à exécution, constituerait
une violation de l'article 3 de la Convention représente une satisfaction
équitable suffisante (Saadi précité, § 188).
B. Frais et dépens
59. Le requérant n'a
présenté aucune demande de remboursement au titre des frais et dépens. Partant,
la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare
la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 de la
Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit
que, dans l'éventualité de la mise à exécution de la décision d'expulser le
requérant vers la Tunisie, il y aurait violation de l'article 3 de la
Convention ;
3. Dit qu'il
n'y a pas lieu d'examiner également si la mise à exécution de la décision d'expulser
le requérant vers la Tunisie violerait aussi l'article 8 de la
Convention ;
4. Dit que
le constat d'une violation constitue une satisfaction équitable suffisante au
titre du dommage moral subi par le requérant ;
5. Rejette
la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit
le 24 mars 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Sally
Dollé Françoise
Tulkens
Greffière Présidente