DEUXIéME SECTION

AFFAIRE UDOROVIC c. ITALIE

(Requte no 38532/02)

ARRĉT

STRASBOURG

18 mai 2010

Cet arrt deviendra dŽfinitif dans les conditions dŽfinies ˆ lĠarticle 44 ¤ 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En lĠaffaire Udorovic c. Italie,

La Cour europŽenne des droits de lĠhomme (deuxime section), siŽgeant en une chambre composŽe de :

Franoise Tulkens, prŽsidente, 
 Ireneu Cabral Barreto, 
 Vladimiro Zagrebelsky, 
 Danutė Jočienė, 
 Dragoljub Popović, 
 Nona Tsotsoria, 
 Kristina Pardalos, juges, 
et de Sally DollŽ, greffire de section,

Aprs en avoir dŽlibŽrŽ en chambre du conseil le 27 avril 2010,

Rend lĠarrt que voici, adoptŽ ˆ cette date :

PROCƒDURE

1.  A lĠorigine de lĠaffaire se trouve une requte (no 38532/02) dirigŽe contre la RŽpublique italienne et dont un ressortissant de cet Etat, M. Aldo Udorovic (Ç le requŽrant È), a saisi la Cour le 20 septembre 2002 en vertu de lĠarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lĠhomme et des libertŽs fondamentales (Ç la Convention È).

2.  Le requŽrant est reprŽsentŽ par Mes N. Paoletti et A. Mari, avocats ˆ Rome. Le gouvernement italien (Ç le Gouvernement È) a ŽtŽ reprŽsentŽ par son agent, Mme E. Spatafora, et par son coagent, M. N. Lettieri.

3.  Le requŽrant allgue lĠiniquitŽ, sous diffŽrents aspects, dĠune procŽdure pour discrimination engagŽe ˆ lĠencontre de lĠadministration devant les juridictions civiles.

4.  Le 12 novembre 2008, la prŽsidente de la deuxime section a dŽcidŽ de communiquer la requte au Gouvernement. Comme le permet lĠarticle 29 ¤ 3 de la Convention, elle a en outre ŽtŽ dŽcidŽ que la chambre se prononcerait en mme temps sur la recevabilitŽ et le fond.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE LĠESPéCE

5.  Le requŽrant est nŽ en 1951 et rŽside ˆ Terracina.

6.  Il est un ressortissant italien appartenant ˆ la communautŽ tzigane des Sinti et rŽsidant ˆ lĠŽpoque des faits dans un camp nomade sis ˆ Rome, rue Luigi Nono.

7.  Les 13, 14 et 15 novembre 1995, la police municipale de Rome effectua des contr™les dans tous les campements nomades autorisŽs et dans toutes les installations nomades spontanŽes amŽnagŽes dans la municipalitŽ, y compris le camp Ç Nono È.

8.  Par une dŽcision du 23 janvier 1996, le maire de Rome observa que le recensement des camps nomades avait ŽtŽ accompli dans le but dĠen dŽterminer la typologie, les conditions et les dimensions. Il rappela quĠau sens de la loi rŽgionale no 59 du 3 mai 1985, il est possible de camper seulement dans des structures adŽquatement recensŽes et prŽsentant ses conditions sanitaires et hygiŽniques acceptables. En outre, le maire affirma que, pour ce qui Žtait des familles Rom et Sinti, seules celles avec des enfants en ‰ge scolaire et suivant rŽellement la scolaritŽ obligatoire avaient le droit de rŽsider dans des camps amŽnagŽs par la municipalitŽ. Il ajouta que ces critres personnels seraient vŽrifiŽs par lĠadministration ˆ lĠoccasion dĠun prochain recensement.

9.  Par la mme dŽcision, lĠadministration municipale Žtablit une liste des structures jugŽes conformes aux critres prŽvus par la loi, avec lĠindication de leur capacitŽ maximale. Dans ladite liste figurait Žgalement le camp Nono, dĠune capacitŽ de trente personnes.

10.  Le 15 juin 1999, le bureau de lĠimmigration de la municipalitŽ de Rome demanda ˆ la police municipale dĠeffectuer un recensement dans le camp Nono. Le recensement eut lieu le 24 juin 1999.

11.  Par une dŽcision du 4 novembre 1999, le maire de Rome ordonna que les quarante-sept personnes installŽes dans le camp Nono fussent ŽvacuŽes et, que, dans la mesure o elles Žtaient en rgle avec les normes sur lĠimmigration et avec les critres Žtablis par lĠordonnance de 1996, elles fussent transfŽrŽes dans un campement ŽquipŽ. Le maire affirma que le camp, installŽ ˆ proximitŽ dĠune Žcole primaire, nĠŽtait pas ŽquipŽ dĠun rŽseau dĠŽgout et dĠeau potable conforme aux normes hygiŽniques et observa quĠil Žtait impossible dĠeffectuer des travaux dĠurbanisme dans un dŽlai raisonnable. En outre, le comportement des occupants du camp aggravait lĠŽtat de celui-ci. Il sĠavŽrait donc nŽcessaire de prŽserver lĠenvironnement, ainsi que la santŽ des occupants du camp et des rŽsidants du quartier, par une mesure immŽdiate telle que lĠŽvacuation.

12.  Le 25 novembre 1999, le requŽrant attaqua ladite dŽcision devant le tribunal administratif du Latium et demanda un sursis ˆ lĠexŽcution de lĠŽvacuation.

13.  Par une ordonnance en rŽfŽrŽ du 19 janvier 2000, le tribunal accueillit la demande de sursis du requŽrant. Il releva que la municipalitŽ avait autorisŽ, par sa dŽcision de 1996, lĠinstallation de personnes et de caravanes dans le camp concernŽ et affirma que lĠadministration avait lĠobligation dĠamŽnager adŽquatement ledit camp afin de permettre des conditions de vie acceptables.

14.  La municipalitŽ interjeta appel contre lĠordonnance en rŽfŽrŽ du 19 janvier 2000. Le Conseil dĠEtat confirma la dŽcision du tribunal administratif de suspendre lĠexŽcution de lĠŽvacuation.

15.  La procŽdure sur le fond est actuellement pendante devant le tribunal administratif.

16.  Le 20 mars 2000, le requŽrant introduisit devant le tribunal civil de Rome un recours pour discrimination ˆ lĠencontre de la municipalitŽ et du maire de Rome, conformŽment aux articles 43 et 44 du dŽcret (Ç decreto legislativo È) no 286 de 1998. Faisant valoir que les dŽcisions prises par le maire en 1996 et en 1999 Žtaient discriminatoires dans la mesure o elles visaient des ressortissants italiens en raison de leur appartenance ˆ lĠethnie Sinti, il demanda au tribunal de condamner lĠadministration ˆ mettre fin ˆ la discrimination et ˆ lĠindemniser pour le prŽjudice matŽriel et moral subi.

17.  La procŽdure se dŽroula, suivant les dispositions de loi en la matire, en chambre du conseil. Ë lĠaudience du 17 mai 2000, le requŽrant dŽposa des documents.

18.  Par une ordonnance du 12 mars 2001, dŽposŽe le 13 mars 2001, le tribunal rejeta le recours du requŽrant. Il affirma que les dŽcisions litigieuses nĠŽtaient pas discriminatoires puisquĠelles poursuivaient le but de garantir la santŽ publique des citoyens rŽsidant dans le quartier ainsi que des occupants du camp. En outre, le tribunal affirma que le recensement des camps ordonnŽ par la dŽcision de 1996 visait lĠorganisation de lĠaccueil des communautŽs nomades et non pas, comme le requŽrant lĠaffirmait, le but de Ç ficher È les minoritŽs ethniques prŽsentes sur le territoire.

19.  Le requŽrant prŽsenta une rŽclamation contre ladite ordonnance devant la cour dĠappel de Rome, allŽguant, entre autres, le caractre discriminatoire de la dŽcision de 1996.

20.  Le 2 juillet 2001, une audience en chambre du conseil se dŽroula en prŽsence des parties. A cette occasion, le requŽrant demanda ˆ titre provisoire lĠinstallation dĠune fontaine dĠeau potable dans le camp, dans lĠattente de la dŽcision sur le bien-fondŽ du recours. La cour dĠappel rejeta cette demande.

21.  Des audiences se tinrent les 1er octobre 2001, 3 dŽcembre 2001 et 7 janvier 2002 ; les deux premires furent ajournŽes pour permettre ˆ lĠadministration de produire des documents nŽcessaires ˆ lĠinstruction de lĠaffaire.

22.  Par une ordonnance du 14 janvier 2002, dŽposŽe le 11 mars 2002 et notifiŽe au requŽrant le 21 mars 2002, la cour dĠappel de Rome rejeta la rŽclamation du requŽrant. Elle affirma que la dŽcision de 1999 ordonnant lĠŽvacuation du camp Nono, bien quĠentachŽ dĠun certain degrŽ dĠautoritarisme pouvant justifier une rŽaction nŽgative de ses destinataires, ne pouvait pas tre considŽrŽe discriminatoire, car elle nĠŽtait pas motivŽe par lĠintention de nuire aux occupants du camp en raison de leur appartenance ethnique.

23.  En revanche, la cour dĠappel ne sĠexprima pas quant ˆ la lŽgitimitŽ de la dŽcision de 1996, observant dans son ordonnance que Ç dans sa rŽclamation, le requŽrant ne rŽitre pas ses allŽgations concernant cette dŽcision È.

24.  Il ressort du dossier que, le 19 novembre 2005, le requŽrant quitta de son grŽ le camp Nono.

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

25.  Le dŽcret no 286 du 25 juillet 1998 contient des normes en matire dĠimmigration et de conditions des Žtrangers.

LĠarticle 44 dudit dŽcret, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi :

Ç 1.  Lorsque le comportement dĠun particulier ou de lĠadministration publique engendre une discrimination pour raisons raciales, ethniques, nationales ou religieuses, le juge peut ordonner la cessation du comportement discriminatoire et peut adopter toute autre dŽcision adŽquate, selon les circonstances, pour effacer les effets de la discrimination (...)

Le tribunal dŽcide avec ordonnance (...).

Contre les dŽcisions du tribunal on peut former une rŽclamation devant la cour dĠappel aux termes de lĠarticle 739, deuxime alinŽa, du code de procŽdure civile.

SĠappliquent, si compatibles, les articles 737, 738 et 739 du code de procŽdure civile.

Par la dŽcision qui conclut la procŽdure, le juge peut Žgalement condamner la partie dŽfenderesse ˆ payer le dommage patrimonial et non patrimonial (...) È.

Les articles 737, 738 et 739 du code de procŽdure civile concernent les procŽdures en chambre du conseil.

Contre les dŽcisions prises dans le cadre du recours contre la discrimination, le pourvoi en Cassation nĠest pas admis.

EN DROIT

I.  SUR LĠOBJET DE LA REQUĉTE

26.  Lors de lĠintroduction de sa requte, le requŽrant allŽguait une violation de lĠarticle 6 de la Convention ainsi que des articles 8 et 14 de la Convention et 2 du Protocole no 4.

27.  La Cour relve que les dolŽances tirŽes de ces trois derniers articles faisaient Žgalement lĠobjet de la requte no 70081/01, introduite par le requŽrant le 8 janvier 2001. Par une dŽcision du 31 janvier 2003, prise en vertu de lĠarticle 28 de la Convention, la Cour a dŽclarŽ ladite requte irrecevable et lĠa rejetŽe en application de lĠarticle 35 ¤ 4.

28.  Partant, dans le cadre de la prŽsente requte, la Cour se bornera ˆ examiner les griefs tirŽs de lĠarticle 6 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLƒGUƒE DE LĠARTICLE 6 ¤ 1 DE LA CONVENTION QUANT AU MANQUE DE PUBLICITƒ DES AUDIENCES

29.  Le requŽrant allgue que sa cause nĠa pas ŽtŽ entendue de faon publique. Il invoque lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention qui, dans ses parties pertinentes, se lit comme suit :

Ç Toute personne a droit ˆ ce que sa cause soit entendue Žquitablement, publiquement (...), par un tribunal indŽpendant et impartial, Žtabli par la loi, qui dŽcidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil (...). Le jugement doit tre rendu publiquement, mais lĠaccs de la salle dĠaudience peut tre interdit ˆ la presse et au public pendant la totalitŽ ou une partie du procs dans lĠintŽrt de la moralitŽ, de lĠordre public ou de la sŽcuritŽ nationale dans une sociŽtŽ dŽmocratique, lorsque les intŽrts des mineurs ou la protection de la vie privŽe des parties au procs lĠexigent, ou dans la mesure jugŽe strictement nŽcessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spŽciales la publicitŽ serait de nature ˆ porter atteinte aux intŽrts de la justice È.

30.  Le Gouvernement sĠoppose ˆ cette thse.

A.  Sur la recevabilitŽ

31.  Le Gouvernement excipe tout dĠabord lĠinapplicabilitŽ de lĠarticle 6. Il affirme que le recours pour discrimination prŽvu par lĠarticle 44 du dŽcret no 268 constitue une procŽdure prŽliminaire visant lĠoctroi dĠune mesure urgente et provisoire dans lĠattente dĠune dŽcision sur le fond du litige. A lĠappui de son argument, le Gouvernement fait rŽfŽrence ˆ lĠarrt no 6172/2008 de lĠassemblŽe plŽnire de la Cour de cassation, qualifiant de prŽliminaire la procŽdure prŽvue par le dŽcret no 268 et affirmant que lĠordonnance prise dans le cadre de cette procŽdure a un caractre provisoire et non pas dŽfinitif, ni exŽcutoire.

32.  Le Gouvernement se rŽfre ˆ la jurisprudence bien Žtablie de la Cour selon laquelle les procŽdures prŽliminaires ne sont pas normalement considŽrŽes comme portant sur une contestation sur des droits et obligations de caractre civil et ne relvent donc pas habituellement de la protection de lĠarticle 6.

33.  Le requŽrant rŽfute les arguments du Gouvernement. Il affirme que le recours pour discrimination sĠinscrit dans une procŽdure ordinaire, et non pas prŽliminaire, et nĠa pas pour but lĠoctroi dĠune mesure dĠurgence. A cet Žgard, il conteste les conclusions de la Cour de cassation et considre non convaincants les arguments de la haute juridiction italienne.

34.  La Cour observe dĠemblŽ que les parties ne sĠaccordent pas quant ˆ la qualification de la procŽdure litigieuse. Si le Gouvernement en affirme la nature prŽliminaire, lĠintŽressŽ est dĠavis quĠil sĠagit en revanche dĠune procŽdure ordinaire.

35.  La Cour rappelle quĠil appartient au premier chef aux autoritŽs nationales, et notamment aux tribunaux, dĠinterprŽter le droit interne et quĠelle ne substitue pas sa propre interprŽtation ˆ la leur en lĠabsence dĠarbitraire (voir, parmi dĠautres, Tejedor Garc’a c. Espagne, arrt du 16 dŽcembre 1997, Recueil des arrts et dŽcisions 1997-VIII, ¤ 31, p. 2796). En lĠespce, elle ne saurait mettre en doute les conclusions de lĠassemblŽe plŽnire de la Cour de cassation qui, sĠexprimant dans le cadre de ses prŽrogatives dĠinterprte suprme du droit interne, a affirmŽ la nature prŽliminaire de la procŽdure contre la discrimination et le caractre provisoire des dŽcisions prises dans le cadre de celle-ci.

36.  Quoi quĠil en soit, la Cour rappelle quĠelle a eu rŽcemment lĠoccasion de revoir sa jurisprudence relative ˆ lĠapplicabilitŽ de lĠarticle 6 ¤ 1 aux procŽdures prŽliminaires. Au paragraphe 83 de lĠarrt Micallef c. Malte (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, CEDH 2009-...), elle a affirmŽ que lĠapplicabilitŽ de lĠarticle 6 ˆ ce type de procŽdures dŽpend du respect de certaines conditions. Premirement, le droit en jeu tant dans la procŽdure au principal que dans la procŽdure prŽliminaire doit tre Ç de caractre civil È au sens autonome que revt cette notion dans le cadre de lĠarticle 6 de la Convention. Deuximement, la nature, lĠobjet et le but de la mesure provisoire, ainsi que ses effets sur le droit en question, doivent tre examinŽs de prs. Chaque fois que lĠon peut considŽrer quĠune mesure est dŽterminante pour le droit ou lĠobligation de caractre civil en jeu, quelle que soit la durŽe pendant laquelle elle a ŽtŽ en vigueur, lĠarticle 6 trouvera ˆ sĠappliquer.

37.  En lĠespce, il y a lieu dĠobserver que le but de la demande du requŽrant Žtait celui de voir reconna”tre la portŽe discriminatoire des dŽcisions de la municipalitŽ de Rome dĠŽvacuer le camp o le requŽrant rŽsidait avec sa famille, dĠen obtenir lĠannulation, et de se voir octroyer un dŽdommagement pour le prŽjudice subi. Dans ce contexte, la Cour considre que la procŽdure litigieuse Žtait dŽterminante pour des droits de Ç caractre civil È au sens de la Convention.

38.  Ds lors, il y a lieu de rejeter lĠexception du Gouvernement et de conclure que lĠarticle 6 est applicable ˆ la procŽdure litigieuse. La Cour relve par ailleurs que la requte ne se heurte ˆ aucun autre motif dĠirrecevabilitŽ. Il convient donc de la dŽclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments de parties

39.  Le requŽrant se plaint de ce que la procŽdure sĠest dŽroulŽe en chambre du conseil et donc de faon non publique.

Il affirme quĠaucun motif ne justifiait le manque de publicitŽ en lĠespce. Tout en admettant que le recours contre la discrimination a ŽtŽ conu pour garantir une protection rapide et efficace des droits fondamentaux des personnes victimes de discrimination, le requŽrant considre que le droit de bŽnŽficier dĠune procŽdure publique nĠaurait dž en aucun cas tre entravŽ.

40.  Par ailleurs, la publicitŽ des dŽbats Žtait souhaitable compte tenu du retentissement mŽdiatique que les faits liŽs ˆ lĠŽvacuation du camp Nono avaient eu dans le pays.

41.  Le Gouvernement souligne que le droit invoquŽ par le requŽrant nĠest pas un droit absolu au sens de la Convention. Il insiste sur la nature prŽliminaire de la procŽdure litigieuse et fait valoir la nŽcessitŽ de privilŽgier les exigences de simplicitŽ et de rapiditŽ, propres ˆ ce type de procŽdures, par rapport ˆ lĠexigence de lĠarticle 6 en matire de publicitŽ.

42.  En outre, il affirme que le respect de la vie privŽe des familles ŽvacuŽes, dans lesquelles figuraient plusieurs mineurs, Žtait Žgalement en jeu en lĠespce. Enfin, il fait rŽfŽrence ˆ la nature technique du diffŽrend.

2.  ApprŽciation de la Cour

43.  La Cour rappelle que la publicitŽ de la procŽdure des organes judiciaires visŽs ˆ lĠarticle 6 ¤ 1 protge les justiciables contre une justice secrte Žchappant au contr™le du public (voir, Riepan c. Autriche, no 35115/97, ¤ 27, CEDH 2000-XII) ; elle constitue aussi lĠun des moyens de prŽserver la confiance dans les cours et tribunaux. Par la transparence quĠelle donne ˆ lĠadministration de la justice, elle aide ˆ rŽaliser le but de lĠarticle 6 ¤ 1 : le procs Žquitable, dont la garantie compte parmi les principes de toute sociŽtŽ dŽmocratique au sens de la Convention (voir parmi de trs nombreux autres, Tierce et autres c. Saint-Marin, nos 24954/94, 24971/94 et 24972/94, ¤ 92, CEDH 2000-IX).

44.  LĠarticle 6 ¤ 1 ne fait cependant pas obstacle ˆ ce que les juridictions dŽcident, au vu des particularitŽs de la cause soumise ˆ leur examen, de dŽroger ˆ ce principe ; le huis clos, quĠil soit total ou partiel, doit alors tre strictement commandŽ par les circonstances de lĠaffaire (voir, par exemple, mutatis mutandis, lĠarrt Diennet c. France, du 26 septembre 1995, SŽrie A no 325-A, ¤ 34).

45.  Par ailleurs, la Cour a jugŽ que des circonstances exceptionnelles, tenant ˆ la nature des questions soumises au juge dans le cadre de la procŽdure dont il sĠagit, peuvent justifier de se dispenser dĠune audience publique, par exemple les litiges hautement techniques qui se prtent souvent mieux ˆ des Žcritures quĠˆ des plaidoiries, et des impŽratifs dĠefficacitŽ et dĠŽconomie (Martinie c. France [GC], no 58675/00, CEDH 2006, ¤ 41 ; les arrts Miller et Schuler-Zgraggen prŽcitŽs).

46.  En lĠespce, lĠexclusion du public de la salle dĠaudience est expressŽment prŽvue par le dŽcret no 268, qui contient un renvoi explicite aux dispositions du code de procŽdure civile relative aux procŽdures en chambre du conseil.

47.  La Cour vient de constater la nature prŽliminaire de la procŽdure dont est question et le caractre provisoire des mesures prises dans le cadre de celle-ci (paragraphe 35 ci-dessus).

A cet Žgard, elle rappelle avoir dŽjˆ affirmŽ que, lorsquĠil sĠagit de procŽdures prŽliminaires, dans des cas exceptionnels – par exemple lorsque lĠeffectivitŽ de la mesure provisoire sollicitŽe dŽpend de la rapiditŽ du processus dŽcisionnel – il peut se rŽvŽler impossible de respecter dans lĠimmŽdiat toutes les exigences prŽvues ˆ lĠarticle 6. Ainsi, dans certaines hypothses prŽcises, tandis que lĠindŽpendance et lĠimpartialitŽ du tribunal ou du juge concernŽ constituent des garanties inaliŽnables quĠil est indispensable de respecter dans pareille procŽdure, dĠautres garanties procŽdurales peuvent ne sĠappliquer que dans la mesure o le permettent la nature et le but de la procŽdure provisoire considŽrŽe. En cas de procŽdure ultŽrieure devant la Cour, cĠest au Gouvernement quĠil incombera dĠŽtablir, eu Žgard au but de la procŽdure en cause dans une affaire donnŽe, quĠune ou plusieurs garanties procŽdurales particulires ne pouvaient tre appliquŽes sans compromettre indžment la rŽalisation des objectifs visŽs par la mesure provisoire en question (Micallef, prŽcitŽ, ¤ 86).

48.  Or, les parties sĠaccordent pour dire que le recours contre la discrimination a pour but celui dĠassurer ˆ tout particulier une protection immŽdiate et efficace vis-ˆ-vis de traitements discriminatoires provenant dĠautres individus ou de lĠadministration publique. Au sens de lĠarticle 44 du dŽcret no 286, les demandes des justiciables dans ce domaine tendent ˆ obtenir la cessation du comportement discriminatoire et lĠadoption de toute mesure adŽquate, selon les circonstances, pour effacer les effets de la discrimination.

49.  La Cour conoit que dans le domaine considŽrŽ les autoritŽs nationales tiennent compte dĠimpŽratifs dĠefficacitŽ et de rapiditŽ et que garantir systŽmatiquement la publicitŽ des audiences pourrait constituer un obstacle ˆ la diligence de lĠintervention souhaitŽe par le demandeur.

50.  Par ailleurs, elle ne perd pas de vue le fait que la procŽdure devant le tribunal et la cour dĠappel de Rome sĠest dŽroulŽe dans le respect des autres garanties procŽdurales prŽvues ˆ lĠarticle 6. En effet, le requŽrant, assistŽ dĠun avocat de son choix, a eu la possibilitŽ dĠtre prŽsent aux audiences et de participer ˆ la procŽdure en dŽposant des mŽmoires et des documents.

51.  En rŽsumŽ, la Cour estime que le manque de publicitŽ des audiences Žtait justifiŽ en lĠespce ˆ la lumire des objectifs visŽs par la procŽdure litigieuse. Partant, il nĠy a pas eu violation de lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention.

III.  SUR LĠAUTRE VIOLATION ALLƒGUƒE DE LĠARTICLE 6 ¤ 1 DE LA CONVENTION

52.  Invoquant lĠarticle 6, le requŽrant allgue Žgalement une erreur manifeste de la cour dĠappel de Rome, dans la mesure o celle-ci nŽgligea dĠexaminer son moyen dĠappel concernant lĠillŽgitimitŽ de la dŽcision de la municipalitŽ de Rome du 23 janvier 1996.

53.  Le Gouvernement rappelle tout dĠabord que lĠobligation de motiver les dŽcisions judiciaires ne requiert pas, en principe, une rŽponse dŽtaillŽe ˆ chaque argument.

Pour ce qui est du moyen dĠappel litigieux, concernant lĠillŽgitimitŽ de la dŽcision de la municipalitŽ du 23 janvier 1996, le Gouvernement affirme quĠil Žtait entirement absorbŽ par les autres moyens dĠappel du requŽrant, qui furent amplement examinŽs par la cour dĠappel.

54.  Par ailleurs, tous les arguments du requŽrant concernaient la question de lĠŽvacuation du camp Nono, question sur laquelle la juridiction dĠappel a fourni une apprŽciation dŽtaillŽe et exhaustive.

55.  La Cour rappelle quĠil ne lui appartient pas gŽnŽralement de conna”tre des erreurs de fait et de droit prŽtendument commises par une juridiction nationale, sauf apprŽciation indŽniablement inexacte, ayant portŽ atteinte aux droits et libertŽs sauvegardŽs par la Convention (cf. Garc’a Ruiz c. Espagne ([GC], arrt prŽcitŽ, ¤ 28 ; Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, sŽrie A, no 140, p. 29, ¤ 45 ; Kemmache c. France, no 3, 24 novembre 1994, sŽrie A, no 296-C, p. 88, ¤ 44 ; Dulaurans c. France, no 34553/97, ¤ 38, 21 mars 2000).

56.  En outre, le droit ˆ un procs Žquitable, garanti par lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention, englobe, entre autres, le droit des parties au procs ˆ prŽsenter les observations quĠelles estiment pertinentes pour leur affaire. La Convention ne visant pas ˆ garantir des droits thŽoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie du 13 mai 1980, sŽrie A no 37, p. 16, ¤ 33), ce droit ne peut passer pour effectif que si ces observations sont vraiment Ç entendues È, cĠest-ˆ-dire džment examinŽes par le tribunal saisi. Autrement dit, lĠarticle 6 implique notamment, ˆ la charge du Ç tribunal È, lĠobligation de se livrer ˆ un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf ˆ en apprŽcier la pertinence (Van de Hurk c. Pays-Bas du 19 avril 1994, sŽrie A no 288, p. 19, ¤ 59).

57.  En lĠespce, la cour dĠappel de Rome affirma, dans son ordonnance du 14 janvier 2002, que le requŽrant nĠavait pas formŽ un moyen dĠappel relatif ˆ la dŽcision de la municipalitŽ de Rome du 23 janvier 1996.

Or, la Cour relve que lĠanalyse de la rŽclamation dŽposŽe par le requŽrant devant la cour dĠappel permet de constater que lĠun des moyen formŽs par lĠintŽressŽ concernait de faon explicite ladite dŽcision administrative et en mettait en cause le caractre discriminatoire.

58.  Dans ces conditions, on ne peut que constater que lĠordonnance de la cour dĠappel est entachŽe dĠune apprŽciation indŽniablement inexacte de certains faits importants.

59.  La Cour nĠa pas ˆ spŽculer sur les consŽquences qui aurait eu la prise en compte, par la juridiction dĠappel, du moyen litigieux. Elle constate cependant que lĠordonnance de 1996 rŽglementait les recensements des camps nomades sis dans la municipalitŽ, dont celui o le requŽrant rŽsidait avec sa famille, et fixait les critres dĠindividuation des rŽsidents irrŽguliers susceptibles dĠtre ŽvacuŽs (voir paragraphes 8 et 9 ci-dessus).

60.  Ds lors, on ne saurait affirmer que les arguments nŽgligŽs par la juridiction dĠappel Žtaient sans incidence sur la question en litige, ayant notamment trait au caractre prŽtendument discriminatoire des dŽcisions de la municipalitŽ (a contrario, Jahnke et Lenoble c. France (dŽc.), no 40490/98, CEDH 2000-IX).

61.  Compte tenu de ce que prŽcde, la Cour conclut que la cour dĠappel de Rome nĠa pas assurŽ au requŽrant son droit ˆ un procs Žquitable, au sens de lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention.

Partant il y a eu violation de cette disposition de ce chef.

IV.  SUR LĠAPPLICATION DE LĠARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62.  Aux termes de lĠarticle 41 de la Convention,

Ç Si la Cour dŽclare quĠil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet dĠeffacer quĠimparfaitement les consŽquences de cette violation, la Cour accorde ˆ la partie lŽsŽe, sĠil y a lieu, une satisfaction Žquitable. È

A.  Dommage

63.  Le requŽrant rŽclame 50 000 euros (EUR) au titre du prŽjudice moral quĠil aurait subi.

64.  Le Gouvernement sĠy oppose.

65.  La Cour estime que le requŽrant a subi un tort moral incontestable qui nĠest pas suffisamment rŽparŽ par le constat dĠune violation. Par consŽquent, statuant en ŽquitŽ, comme le veut lĠarticle 41 de la Convention, elle lui alloue 5 000 EUR, plus tout montant pouvant tre dž ˆ titre dĠimp™t.

B.  Frais et dŽpens

66.  Le requŽrant demande Žgalement 8 000 EUR pour les frais et dŽpens engagŽs devant la Cour.

67.  Le Gouvernement sĠy oppose.

68.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requŽrant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dŽpens que dans la mesure o se trouvent Žtablis leur rŽalitŽ, leur nŽcessitŽ et le caractre raisonnable de leur taux. En lĠespce, compte tenu de lĠabsence de justificatifs, la Cour rejette la demande relative aux frais et dŽpens.

C.  IntŽrts moratoires

69.  La Cour juge appropriŽ de calquer le taux des intŽrts moratoires sur le taux dĠintŽrt de la facilitŽ de prt marginal de la Banque centrale europŽenne majorŽ de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ë LĠUNANIMITƒ,

1.  DŽclare la requte recevable ;

2.  Dit quĠil nĠy a pas eu violation de lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention en raison du manque de publicitŽ ;

3.  Dit quĠil y a eu violation de lĠarticle 6 ¤ 1 de la Convention pour apprŽciation indŽniablement inexacte de certains faits importants par la cour dĠappel ;

4.  Dit

a)  que lĠEtat dŽfendeur doit verser au requŽrant, dans les trois mois ˆ compter du jour o lĠarrt sera devenu dŽfinitif conformŽment ˆ lĠarticle 44 ¤ 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant tre dž ˆ titre dĠimp™t ;

b)  quĠˆ compter de lĠexpiration dudit dŽlai et jusquĠau versement, ce montant sera ˆ majorer dĠun intŽrt simple ˆ un taux Žgal ˆ celui de la facilitŽ de prt marginal de la Banque centrale europŽenne applicable pendant cette pŽriode, augmentŽ de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette la demande de satisfaction Žquitable pour le surplus.

Fait en franais, puis communiquŽ par Žcrit le 18 mai 2010, en application de lĠarticle 77 ¤¤ 2 et 3 du rglement.

Sally DollŽ Franoise Tulkens 
 Greffire PrŽsidente

 

ARRĉT UDOROVIC c. ITALIE

 

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