DEUXIéME SECTION
AFFAIRE TRABELSI c. ITALIE
(Requte
no 50163/08)
ARRæT
STRASBOURG
13
avril 2010
Cet arrt
deviendra dŽfinitif dans les conditions dŽfinies ˆ l'article 44 ¤ 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Trabelsi c. Italie,
La Cour europŽenne des droits de l'homme
(deuxime section), siŽgeant en une chambre composŽe de :
Franoise
Tulkens, prŽsidente,
Ireneu
Cabral Barreto,
Vladimiro
Zagrebelsky,
Danutė
Jočienė,
Dragoljub
Popović,
Andr‡s
Saj—,
Işõl
Karakaş, juges,
et de Franoise Elens-Passos, greffire adjointe de section,
Aprs en avoir dŽlibŽrŽ en chambre du conseil le 23
mars 2010,
Rend l'arrt que voici, adoptŽ ˆ cette
date :
PROCƒDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requte (no 50163/08) dirigŽe contre la RŽpublique italienne et dont un ressortissant tunisien, M. Mourad Trabelsi (Ç le requŽrant È), a saisi la Cour le 20 octobre 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertŽs fondamentales (Ç la Convention È).
2. Le requŽrant
est reprŽsentŽ par Me G. de Carlo, avocat ˆ Milan. Le
gouvernement italien (Ç le Gouvernement È) a ŽtŽ reprŽsentŽ par son
agent, Mme E. Spatafora, et par son co-agent adjoint,
M. N. Lettieri.
3. Le requŽrant allgue en particulier que son expulsion vers la Tunisie l'a exposŽ ˆ un risque de torture et a violŽ son droit au respect de sa vie privŽe et familiale. Il considre Žgalement que la mise ˆ exŽcution de la dŽcision de l'expulser a enfreint son droit de recours individuel.
4. Le 30 mars 2009,
la prŽsidente de la deuxime section a dŽcidŽ de communiquer la requte au
Gouvernement. Comme le permet l'article 29 ¤ 3 de la Convention, elle a en
outre ŽtŽ dŽcidŽ que la chambre se prononcerait en mme temps sur
la recevabilitŽ et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPéCE
5. Le requŽrant
est nŽ en 1969 et rŽside ˆ CrŽmone.
6. Le requŽrant rŽside rŽgulirement en Italie depuis 1986. Il est mariŽ avec une ressortissante tunisienne et pre de trois enfants en bas ‰ge nŽs en Italie.
A. Les investigations ˆ l'encontre du requŽrant et la dŽcision de l'expulser
7. Le 1er avril 2003, le requŽrant, souponnŽ d'appartenance ˆ une association de malfaiteurs liŽe ˆ des groupes islamiste intŽgriste et d'assistance ˆ l'immigration clandestine, fut arrtŽ et placŽ en dŽtention provisoire.
8. Par un arrt du 15 juillet 2006, la cour d'assises de CrŽmone considŽra le requŽrant coupable et le condamna ˆ une peine de dix ans et six mois de rŽclusion. Il Žtait prŽcisŽ dans l'arrt qu'aprs avoir purgŽ sa peine, le requŽrant serait expulsŽ du territoire italien conformŽment ˆ l'article 235 du code pŽnal.
9. Suite ˆ l'appel du requŽrant, la cour d'assises d'appel de Brescia l'acquitta quant au chef d'inculpation d'assistance ˆ l'immigration clandestine et rŽduisit la peine ˆ sept ans de rŽclusion.
10. Cette condamnation fut confirmŽe par la Cour de cassation et acquit l'autoritŽ de la chose jugŽe.
11. Entre temps, par un jugement du 26 janvier 2005, le tribunal militaire de Tunis avait condamnŽ le requŽrant par contumace ˆ dix ans d'emprisonnement pour avoir adhŽrŽ, en temps de paix, ˆ une organisation terroriste.
12. Le 3 octobre 2008, le requŽrant introduisit devant le juge d'application des peines de Pavie une demande tendant ˆ obtenir une remise de peine. Le 14 novembre 2008, le juge fit droit ˆ la demande du requŽrant et rŽduisit sa peine de quatre cent quatre-vingt-cinq jours.
13. A la demande du requŽrant, le 18 novembre 2008 la prŽsidente de la deuxime section a dŽcidŽ d'indiquer au gouvernement italien, en application de l'article 39 du rglement de la Cour, qu'il Žtait souhaitable, dans l'intŽrt des parties et du bon dŽroulement de la procŽdure devant la Cour, de ne pas expulser le requŽrant vers la Tunisie jusqu'ˆ nouvel ordre. L'attention du Gouvernement a ŽtŽ attirŽe sur le fait que, lorsqu'un Etat contractant ne se conforme pas ˆ une mesure indiquŽe au titre de l'article 39 du rglement, cela peut entra”ner une violation de l'article 34 de la Convention (voir Mamatkulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, ¤¤ 128-129 et point 5 du dispositif, CEDH 2005-I).
14. Le 28 novembre 2008, la Commission pour les rŽfugiŽs de Milan rejeta la demande d'asile politique du requŽrant, tout en affirmant l'opportunitŽ de lui octroyer un permis de sŽjour spŽcial pour des raisons humanitaires, compte tenu de la dŽcision de la Cour de Strasbourg du 18 novembre 2008.
15. Le 4 dŽcembre 2008, le reprŽsentant du
requŽrant a informŽ le greffe de la Cour que son client avait ŽtŽ conduit dans
un centre de rŽtention temporaire de Milano en vue de l'exŽcution de son expulsion
vers la Tunisie.
16. Le mme jour, la greffire de la deuxime section a envoyŽ, ˆ la
reprŽsentation permanente de l'Italie ˆ Strasbourg ainsi qu'aux
ministres des Affaires intŽrieures (Bureau UCARLI et Direction centrale de l'immigration
et de la police frontalire) et de la Justice (Bureau de l'extradition et des
rogatoires), le message tŽlŽcopiŽ suivant :
Ç Dans une
communication envoyŽe par Me G. De Carlo le 4 dŽcembre 2008
(annexŽe) concernant la requte citŽe en marge, il ressort que le requŽrant
aurait ŽtŽ informŽ de la confirmation de la dŽcision de l'expulser vers la
Tunisie.
Par une lettre du
18 novembre 2008 (ci-annexŽe), votre Gouvernement avait ŽtŽ informŽ que la PrŽsidente de la deuxime Section de la Cour avait
dŽcidŽ de lui indiquer, en application de l'article 39 du rglement de la Cour,
qu'il Žtait souhaitable, dans l'intŽrt des parties et du bon dŽroulement de la
procŽdure devant la Cour, de ne pas expulser le requŽrant vers Tunisie jusqu'ˆ
nouvel ordre. Cette mesure provisoire n'a jamais ŽtŽ levŽe. La PrŽsidente,
informŽe des nouvelles circonstances, a confirmŽ que cette indication Žtait
toujours en vigueur nonobstant le fait que cette expulsion se fonderait sur un
nouvel arrtŽ.
J'attire votre
attention sur le jugement Saadi c. Italie du 28 fŽvrier 2008 dans lequel la Grande
Chambre a considŽrŽ, dans une affaire similaire que, dans l'ŽventualitŽ de la
mise ˆ exŽcution de la dŽcision d'expulser le requŽrant vers la Tunisie, il y
aurait violation de l'article 3 de la Convention. È
17. Entre-temps, le 3 dŽcembre 2008, le Ministre de l'intŽrieur prit un arrtŽ d'expulsion ˆ l'encontre du requŽrant. Le 4 dŽcembre 2008, le tribunal d'application des peines de Pavie donna son accord ˆ l'expulsion observant que le requŽrant reprŽsentait une menace pour la sŽcuritŽ de l'Etat.
18. Par un message
tŽlŽcopiŽ du 15 dŽcembre 2008, le reprŽsentant du
requŽrant informa le greffe de la Cour que son client avait ŽtŽ expulsŽ vers la
Tunisie, le 13 dŽcembre 2008.
19. Le 27 dŽcembre 2008, le Gouvernement informa la Cour que le requŽrant avait fini de purger sa peine le 21 novembre 2008.
B. Les assurances diplomatiques obtenues
par les autoritŽs italiennes
20. Le 12 dŽcembre
2008, l'Ambassade d'Italie ˆ Tunis adressa au ministre tunisien des Affaires
Žtrangres la note verbale (no 4647) suivante :
Ç L'Ambassade d'Italie prŽsente ses
compliments au ministre des Affaires Žtrangres et se rŽfre ˆ ses propres
notes verbales no 2738 du 21 juillet et no 2911 du 6 aožt
derniers et ˆ la visite en Tunisie de la dŽlŽgation technique des reprŽsentants
des ministres italiens de l'IntŽrieur et de la Justice, tenue le 24 juillet
dernier, concernant un examen des procŽdures ˆ suivre au sujet des recours
pendants auprs de la Cour europŽenne des droits de l'homme, prŽsentŽs par des
citoyens tunisiens, ayant fait ou qui pourraient faire l'objet de dŽcrets d'expulsion.
L'Ambassade d'Italie remercie le ministre des
Affaires Žtrangres pour la note verbale DGAC no 011998 du 26 aožt
dernier et par son biais le ministre de la Justice et des droits de l'homme
pour la concrte collaboration manifestŽe pour le cas de M. Essid Sami Ben
Khemais.
ConformŽment ˆ ce qui avait ŽtŽ convenu lors de
la rŽunion du 24 juillet, les autoritŽs italiennes ont l'honneur de soumettre
par voie diplomatique leur requte d'ŽlŽments additionnels spŽcifiques, qui s'avrent
nŽcessaires dans le contentieux en cours devant la Cour de Strasbourg entre l'Italie
et M. Mourad TRABELSI.
A cet effet, l'Ambassade d'Italie a l'honneur de
demander au ministre des Affaires Žtrangres de bien vouloir saisir les
autoritŽs tunisiennes compŽtentes pour qu'elles puissent fournir par voie diplomatique
les assurances spŽcifiques sur chacun de ces appelants se rapportant aux
arguments suivants :
- en cas d'expulsion vers la Tunisie de l'appelant,
dont l'identitŽ sera spŽcifiŽe, il ne sera pas soumis ˆ des tortures ni ˆ des
peines ou traitements inhumains ou dŽgradants ;
- qu'il puisse tre jugŽ par un tribunal
indŽpendant et impartial, selon des procŽdures qui, dans l'ensemble, seront
conformes aux principes d'un procs Žquitable et public ;
- qu'il puisse, durant sa dŽtention, recevoir les
visites de ses avocats y compris l'avocat italien qui le reprŽsente dans le
procs devant la Cour de Strasbourg, ainsi que des membres de sa famille et d'un
mŽdecin.
Puisque l'ŽchŽance pour la prŽsentation des
observations du gouvernement italien ˆ Strasbourg pour lesdits cas est fixŽe au
19 septembre prochain, l'Ambassade d'Italie saurait grŽ au ministre des
Affaires Žtrangres de bien vouloir lui faire parvenir dans les plus brefs
dŽlais les ŽlŽments requis et essentiels ˆ la dŽfense des intŽrts du
gouvernement italien et suggre que Mme Costantini, premier
secrŽtaire de [l']ambassade, puisse se rendre au ministre de la Justice et des
droits de l'homme pour fournir tout Žclaircissement opportun.
L'Ambassade d'Italie saurait grŽ en outre au
ministre des Affaires Žtrangres de bien vouloir vŽrifier si les autoritŽs
tunisiennes compŽtentes jugent opportun que le gouvernement tunisien participe,
pour lesdits recours, aux procŽdures devant la Cour de Strasbourg, en tant que
tiers, et ce, conformŽment aux articles 36 [de la Convention], 44 du rglement
de la Cour [et] A1 paragraphe 2 de l'annexe au rglement.
L'Ambassade d'Italie remercie d'avance le ministre des Affaires Žtrangres pour l'attention qui sera rŽservŽe ˆ la prŽsente note et saisit l'occasion pour lui renouveler les assurances de sa haute considŽration. È
21. N'ayant pas reu de rŽponse, l'Ambassade d'Italie ˆ Tunis renouvela sa demande d'information le 23 dŽcembre 2008.
22. Le 3 janvier
2009, les autoritŽs tunisiennes firent parvenir leur rŽponse, signŽe par l'avocat
gŽnŽral ˆ la direction gŽnŽrale des services judiciaires. En ses parties
pertinentes, cette rŽponse se lit comme suit :
Ç Dans sa note verbale en date du 12 dŽcembre 2008, l'ambassade d'Italie ˆ Tunis a sollicitŽ, des autoritŽs tunisiennes, les assurances, ci-aprs ŽnumŽrŽes, concernant le citoyen Mourad TRABELSI, dŽtenu dans les prison tunisiennes.
Il convient, au prŽalable, de rappeler qu'aprs sa remise aux autoritŽs tunisiennes, l'intŽressŽ a fait l'objet d'une mesure de garde ˆ vue, conformŽment ˆ l'article 13 bis du code de procŽdure pŽnale, dans le cadre d'une enqute prŽliminaire diligentŽe ˆ son encontre pour des faits en rapport avec des infractions terroristes qui lui sont reprochŽes.
Aprs cl™ture de l'enqute prŽliminaire, Mourad TRABELSI a ŽtŽ prŽsentŽ au procureur de la RŽpublique qui a dŽcidŽ l'ouverture d'une instruction pour constitution d'une bande de malfaiteurs et participation ˆ une entente en vue de prŽparer et commettre des atteintes aux personnes et aux biens conformŽment aux articles 131 et 132 du code pŽnal tunisien. L'instruction a ŽtŽ confiŽe ˆ un juge d'instruction qui a procŽdŽ ˆ l'interrogatoire de Mourad TRABELSI en prŽsence de son avocat. Aprs l'interrogatoire, le juge d'instruction a dŽcernŽ un mandat de dŽp™t ˆ l'encontre du prŽvenu, et ce conformŽment ˆ l'article 80 du code de procŽdure pŽnale tunisien qui dispose qu' Ç aprs interrogatoire de l'inculpŽ, le juge d'instruction peut sur conclusion de procureur de la RŽpublique, dŽcerner un mandat de dŽp™t si le fait emporte une peine d'emprisonnement È. L'instruction suit actuellement son cours.
En outre, la consultation des registres de condamnations a relevŽ que Mourad TRABELSI a fait l'objet d'un jugement par dŽfaut rendu par le tribunal militaire pour adhŽsion ˆ une organisation terroriste opŽrant ˆ l'Žtranger et pour ses activitŽs en vue de recruter des membres pour cette organisation. L'enqute diligentŽe ˆ l'occasion de cette affaire a en effet rŽvŽlŽ que l'intŽressŽ est un membre actif d'une organisation pr™nant le renversement par les armes des rŽgimes qui n'appliquent par la Charia islamique afin d'instaurer ˆ leur place des ƒtats islamiques.
Ce jugement par dŽfaut a ŽtŽ signifiŽ ˆ Mourad TRABELSI et il a ŽtŽ informŽ, conformŽment ˆ la loi, qu'il pouvait l'attaquer par voie d'opposition. L'intŽressŽ a exercŽ son droit ˆ opposition. A cet effet, il a ŽtŽ dŽfŽrŽ au tribunal et a bŽnŽficiŽ de l'assistance d'un avocat. Son opposition a ŽtŽ dŽclarŽe recevable en la forme, ce qui a eu pour consŽquence, en application de l'article 182 du code de procŽdure pŽnale, d'anŽantir le jugement attaquŽ et de lui permettre d'tre jugŽ ˆ nouveau et de prŽsenter les moyens de dŽfense qu'il jugerait utiles. L'affaire est actuellement en cours et l'autoritŽ judiciaire compŽtente a dŽcidŽ, dans ce cadre, l'arrestation de l'intŽressŽ.
Les prŽcisions suivantes constituent la rŽponse aux diffŽrents points susmentionnŽs.
I. La garantie du respect de la
dignitŽ de l'intŽressŽ
Le respect de la dignitŽ de l'intŽressŽ est garanti, son origine rŽside dans le principe de la dignitŽ de toute personne quelque soit l'Žtat dans lequel elle se trouve, principe fondamental reconnu par le droit tunisien et garanti pour toute personne et plus particulirement pour les dŽtenus dont le statut est minutieusement rŽglementŽ.
Il est utile ˆ cet Žgard de rappeler que l'article
13 de la Constitution tunisienne dispose dans son alinŽa 2 que Ç tout
individu ayant perdu sa libertŽ est traitŽ humainement, dans le respect de sa
dignitŽ. È
La Tunisie a par ailleurs ratifiŽ sans aucune
rŽserve la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dŽgradants. Elle a ainsi reconnu la compŽtence
du comitŽ contre la torture pour recevoir et examiner les communications
prŽsentŽes par ou pour le compte des particuliers relevant de sa juridiction
qui prŽtendent tre victimes de violation des dispositions de la Convention
[ratification par la loi no 88-79 du 11 juillet 1988. Journal
Officiel de la RŽpublique tunisienne no 48 du 12-15 juillet 1988,
page 1035 (annexe no 1)].
Les dispositions de ladite Convention ont ŽtŽ
transposŽes en droit interne, l'article 101 bis du code pŽnal dŽfinit la torture comme Žtant Ç tout acte par
lequel une douleur ou des souffrances aigu‘s, physiques ou mentales, sont
intentionnellement infligŽes ˆ une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle
ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte
qu'elle ou une tierce personne a commis ou est souponnŽe d'avoir commis, de l'intimider
ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une
tierce personne, ou lorsque la douleur ou les souffrances aigu‘s sont infligŽes
pour tout autre motif fondŽ sur une forme de discrimination quelle qu'elle
soit. È
Le lŽgislateur a prŽvu des peines sŽvres pour ce
genre d'infractions, ainsi l'article 101 bis suscitŽ
dispose qu'Ç est puni d'un emprisonnement de huit ans le fonctionnaire ou
assimilŽ qui soumet une personne ˆ la torture et ce, dans l'exercice ou ˆ l'occasion
de l'exercice de ses fonctions. È
Il est ˆ signaler que la garde ˆ vue est, selon l'article
12 de la Constitution, soumise au contr™le judiciaire et qu'il ne peut tre
procŽdŽ ˆ la dŽtention prŽventive que sur ordre juridictionnel. Il est interdit
de soumettre quiconque ˆ une garde ˆ vue ou ˆ une dŽtention arbitraire.
Plusieurs garanties accompagnent la procŽdure de la garde ˆ vue et tendent ˆ
assurer le respect de l'intŽgritŽ physique et morale du dŽtenu dont
notamment :
- Le droit de la personne gardŽe ˆ vue ds son
arrestation d'informer les membres de sa famille.
- Le droit de demander au cours du dŽlai de la
garde ˆ vue ou ˆ son expiration d'tre soumis ˆ un examen mŽdical. Ce droit
peut tre exercŽ le cas ŽchŽant par les membres de la famille.
- La durŽe de la dŽtention prŽventive est
rŽglementŽe, son prolongement est exceptionnel et doit tre motivŽ par le juge.
Il y a lieu Žgalement de noter que [la] loi du 14
mai 2001 relative ˆ l'organisation des prisons dispose dans son article premier
qu'elle a pour objectif de rŽgir Ç les conditions de dŽtention dans les
prisons en vue d'assurer l'intŽgritŽ physique et morale du dŽtenu, de le
prŽparer ˆ la vie libre et d'aider ˆ sa rŽinsertion. È
Ce dispositif lŽgislatif est renforcŽ par la mise
en place d'un systme de contr™le destinŽ ˆ assurer le respect effectif de la
dignitŽ des dŽtenus. Il s'agit de plusieurs types de contr™les effectuŽs par
divers organes et institutions :
- Il y a d'abord un contr™le judiciaire assurŽ
par le juge d'exŽcution des peines tenu, selon les termes de l'article 342-3 du
code de procŽdure pŽnale tunisien, [de] visiter l'Žtablissement pŽnitentiaire
relevant de son ressort pour prendre connaissance des conditions des dŽtenus, ces
visites sont dans la pratique effectuŽes en moyenne ˆ raison de deux fois par
semaine.
- Il y a ensuite le contr™le effectuŽ par le
comitŽ supŽrieur des droits de l'homme et des libertŽs fondamentales, le
prŽsident de cette institution nationale indŽpendante peut effectuer des
visites inopinŽes aux Žtablissements pŽnitentiaires pour s'enquŽrir de l'Žtat
et des conditions des dŽtenus.
- Il y a Žgalement le contr™le administratif
interne effectuŽ par les services de l'inspection gŽnŽrale du ministre de la
Justice et des droits de l'homme et l'inspection gŽnŽrale relevant de la
direction gŽnŽrale des prisons et de la rŽŽducation. Il est ˆ noter dans ce
cadre que l'administration pŽnitentiaire relve du ministre de la Justice et
que les inspecteurs dudit ministre sont des magistrats de formation ce qui
constitue une garantie supplŽmentaire d'un contr™le rigoureux des conditions de
dŽtention.
- Il faut enfin signaler que le comitŽ
international de la Croix-Rouge est habilitŽ depuis 2005 ˆ effectuer des visites
dans les lieux de dŽtention, prisons et locaux de la police habilitŽs ˆ
accueillir des dŽtenus gardŽs ˆ vue. A l'issue de ces visites des rapports
dŽtaillŽs sont Žtablis et des rencontres sont organisŽes avec les services
concernŽs pour mettre en Ïuvre les recommandations formulŽes par le comitŽ sur
l'Žtat des dŽtenus.
Les autoritŽs tunisiennes rappellent qu'elles n'hŽsitent point ˆ enquter sur toutes les allŽgations de torture chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables laissant croire qu'un acte de mauvais traitements a ŽtŽ commis. On citera en illustration deux exemples : le premier concerne trois agents de l'administration pŽnitentiaire qui ont maltraitŽ un dŽtenu, suite ˆ une enqute ouverte ˆ ce sujet les trois agents ont ŽtŽ dŽfŽrŽs devant la justice et ont ŽtŽ condamnŽs chacun ˆ quatre ans d'emprisonnement par un arrt de la cour d'appel de Tunis rendu le 25 janvier 2002. Le deuxime exemple concerne un agent de police qui a ŽtŽ poursuivi pour coups et blessures volontaires et qui a ŽtŽ condamnŽ ˆ 15 ans d'emprisonnement par un arrt rendu par la cour d'appel de Tunis le 2 avril 2002.
Ces deux exemples dŽmontrent que les autoritŽs
tunisiennes ne tolrent aucun mauvais traitement en n'hŽsitant pas ˆ engager
les poursuites nŽcessaires contre les agents chargŽs de l'application de la loi
chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables laissant croire que des actes de
telle nature auraient ŽtŽ commis.
Les quelques cas de condamnation pour mauvais
traitements ont ŽtŽ signalŽs dans le rapport prŽsentŽ par la Tunisie devant le
Conseil des droits de l'homme (annexe 2) et devant le ComitŽ des droits de l'homme
(annexe 3) dŽnotant ainsi de la politique volontariste de l'Etat ˆ poursuivre
et rŽprimer tout acte de torture ou de mauvais traitements ce qui est de nature
ˆ rŽfuter toute allŽgation de violation systŽmatique des droits de l'homme.
En conclusion, il est Žvident que :
- Aprs son expulsion vers la Tunisie, Mourad TRABELSI a fait l'objet d'une mesure de garde ˆ vue dans le cadre d'une enqute prŽliminaire diligentŽe ˆ son encontre pour constitution et adhŽsion ˆ une bande de malfaiteurs. Aprs cl™ture de cette enqute, l'intŽressŽ a ŽtŽ dŽfŽrŽ au parquet qui a dŽcidŽ l'ouverture d'une instruction confiŽe ˆ un juge d'instruction. L'interrogatoire de l'intŽressŽ s'est dŽroulŽ en prŽsence de son avocat. A l'issue de l'interrogatoire, le juge d'instruction a dŽcernŽ un mandat de dŽp™t ˆ son encontre.
- L'intŽressŽ a fait d'autre part l'objet d'un jugement par dŽfaut pour son adhŽsion ˆ une organisation terroriste. Il a ŽtŽ prŽsentŽ ˆ un juge et a bŽnŽficiŽ de l'assistance d'un avocat. Il a exercŽ son droit ˆ opposition contre le jugement rendu ˆ son encontre. La recevabilitŽ de l'opposition a eu pour effet d'anŽantir le jugement et l'affaire est jugŽe de nouveau.
- En tout Žtat de cause, l'intŽressŽ bŽnŽficie de toutes les garanties que lui offre la lŽgislation tunisienne
II. La garantie d'un procs Žquitable ˆ l'intŽressŽ :
Mourad TRABELSI est poursuivi pour appartenance ˆ une bande de malfaiteurs et adhŽsion ˆ une organisation terroriste opŽrant ˆ l'Žtranger.
Les procŽdures de poursuite, d'instruction et de
jugement de ces infractions sont entourŽes de toutes les garanties nŽcessaires
ˆ un procs Žquitable dont notamment :
- Le respect du principe de la sŽparation entre
les autoritŽs de poursuite, d'instruction et de jugement.
- L'instruction en matire de crimes est
obligatoire. Elle obŽit au principe du double degrŽ de juridiction (juge d'instruction
et chambre d'accusation).
- Les audiences de jugement sont publiques et
respectent le principe du contradictoire.
- Toute personne souponnŽe de crime a
obligatoirement droit ˆ l'assistance d'un ou plusieurs avocats. Il lui en est,
au besoin, commis un d'office et les frais sont supportŽs par l'Etat. L'assistance
de l'avocat se poursuit pendant toutes les Žtapes de la procŽdure :
instruction prŽparatoire et phase de jugement.
- L'examen des crimes est de la compŽtence des
cours criminelles qui sont formŽes de cinq magistrats, cette formation Žlargie
renforce les garanties du prŽvenu.
- Le principe du double degrŽ de juridiction en
matire criminelle est consacrŽ par le droit tunisien. Le droit de faire appel
des jugements de condamnation est donc un droit fondamental pour le prŽvenu.
- Aucune condamnation ne peut tre rendue que sur la base de preuves solides ayant fait l'objet de dŽbats contradictoires devant la juridiction compŽtente. Mme l'aveu du prŽvenu n'est pas considŽrŽ comme une preuve dŽterminante. Cette position a ŽtŽ confirmŽe par l'arrt de la Cour de cassation tunisienne no 12150 du 26 janvier 2005 par lequel la Cour a affirmŽ que l'aveu extorquŽ par violence est nul et non avenu et ce, en application de l'article 152 du code de procŽdure pŽnale qui dispose que : Ç l'aveu, comme tout ŽlŽment de preuve, est laissŽ ˆ la libre apprŽciation des juges È. Le juge doit donc apprŽcier toutes les preuves qui lui sont prŽsentŽes afin de dŽcider de la force probante ˆ confŽrer aux dites preuves d'aprs son intime conviction.
III. La garantie du droit de recevoir des
visites :
La loi du 14 mai 2001 relative ˆ l'organisation des prisons consacre le droit de tout prŽvenu ˆ recevoir la visite de l'avocat chargŽ de sa dŽfense, sans la prŽsence d'un agent de la prison ainsi que la visite des membres de sa famille. Le dŽtenu Mourad TRABELSI jouit de ce droit conformŽment ˆ la rŽglementation en vigueur et sans restriction aucune.
b) Visite des membres de la famille
A ce jour, ˆ chaque fois que les membres de la famille de Mourad TRABELSI ont demandŽ une autorisation de visite, il leur a ŽtŽ rŽpondu favorablement par l'autoritŽ compŽtente. Il a dans ce cadre bŽnŽficiŽ, le 19 dŽcembre 2008, de la visite de son frre et de sa sÏur.
IV. La garantie du droit de bŽnŽficier
des soins mŽdicaux :
La loi prŽcitŽe relative ˆ l'organisation des
prisons dispose que tout dŽtenu a droit ˆ la gratuitŽ des soins et des
mŽdicaments ˆ l'intŽrieur des prisons et, ˆ dŽfaut, dans les Žtablissement
hospitaliers. En outre, l'article 336 du code de procŽdure pŽnale autorise le
juge d'exŽcution des peines ˆ soumettre le condamnŽ ˆ examen mŽdical.
Dans ce cadre, le dŽtenu Mourad TRABELSI a ŽtŽ
soumis ˆ l'examen mŽdical de premire admission dans l'unitŽ pŽnitentiaire. Le
rapport du mŽdecin ne relve rien de particulier ˆ son Žgard. Ledit dŽtenu a, d'autre
part, bŽnŽficiŽ ultŽrieurement d'un suivi mŽdical dans le cadre d'examens
pŽriodiques. En conclusion, l'intŽressŽ bŽnŽficie d'un suivi mŽdical rŽgulier ˆ
l'instar de tout dŽtenu et il n'y a pas lieu de ce fait d'autoriser son examen
par un autre mŽdecin.
Les autoritŽs tunisiennes rŽitrent leur volontŽ de coopŽrer pleinement avec la partie italienne en lui fournissant toutes les informations et les donnŽes utiles ˆ sa dŽfense dans la procŽdure en cours devant la Cour europŽenne des droits de l'homme È.
23. Par une note du 5 octobre 2009, l'ambassade d'Italie ˆ Tunis sollicita du ministre tunisien des Affaires Žtrangres des informations complŽmentaires concernant la situation du requŽrant.
Le 14 octobre 2009, le ministre des Affaires Žtrangres fit parvenir sa rŽponse. Concernant en particulier les conditions de dŽtention de M. Trabelsi, cette rŽponse se lit comme suit :
Ç L'intŽressŽ est actuellement dŽtenu ˆ la prison de Saouaf (...).
Il a bŽnŽficiŽ rŽgulirement de la visite de ses proches notamment son Žpouse, ses parents, sa sÏur et ses beaux-parents.
M. Trabelsi bŽnŽficie Žgalement de tous les soins mŽdicaux nŽcessaires. D'une part, il a bŽnŽficiŽ, ds son admission en prison, d'une visite mŽdicale afin d'Žtablir le bilan global de son Žtat de santŽ. D'autre part, l'intŽressŽ fait l'objet d'un suivi mŽdical rŽgulier dans me cadre d'examen pŽriodique (...).
Le mŽdecin de la prison ayant constatŽ que M. Trabelsi prŽsentait des sympt™mes d'asthme, un ensemble de mesures spŽcifiques a ŽtŽ ordonnŽ tenant compte de son Žtat de santŽ. Ainsi, l'intŽressŽ est dŽsormais dŽtenu dans une cellule non-fumeur. Il bŽnŽficie d'autre part de consultations pŽriodiques rŽgulires dans le service de pneumologie de l'h™pital de Zenghouan, outre les soins qui lui sont prodiguŽs par le personnel mŽdical de l'unitŽ pŽnitentiaire. È
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
24. Les recours qu'il est possible de former contre un arrtŽ d'expulsion en Italie et les rgles rŽgissant la rŽouverture d'un procs par dŽfaut en Tunisie sont dŽcrits dans Saadi c. Italie ([GC], no 37201/06, ¤¤ 58-60, 28 fŽvrier 2008).
III. TEXTES ET DOCUMENTS
INTERNATIONAUX
25. On trouve dans
l'arrt Saadi prŽcitŽ une description des textes,
documents internationaux et sources d'informations suivants : l'accord
de coopŽration en matire de lutte contre la criminalitŽ signŽ par l'Italie et
la Tunisie et l'accord d'association entre la Tunisie, l'Union europŽenne et
ses Etats membres (¤¤ 61-62) ; les articles 1, 32 et 33 de la
Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des rŽfugiŽs (¤
63) ; les lignes directrices du ComitŽ des Ministres du Conseil de l'Europe
(¤ 64) ; les rapports relatifs ˆ la Tunisie d'Amnesty International (¤¤ 65-72)
et de Human Rights Watch (¤¤ 73-79) ; les activitŽs du ComitŽ
international de la Croix-Rouge (¤¤ 80-81) ; le rapport du DŽpartement d'Etat
amŽricain relatif aux droits de l'homme en Tunisie (¤¤ 82-93) ; les autres
sources d'informations relatives au respect des droits de l'homme en Tunisie (¤
94).
26. Aprs l'adoption
de l'arrt Saadi, Amnesty International a publiŽ
son rapport annuel 2008. Les parties pertinentes de la section de ce rapport
consacrŽe ˆ la Tunisie sont relatŽes dans Ben Khemais c. Italie, no 246/07, ¤ 34, ... 2009).
27. Dans sa
rŽsolution 1433(2005), relative ˆ la lŽgalitŽ de la dŽtention de personnes par
les Etats-Unis ˆ Guant‡namo Bay, l'AssemblŽe
parlementaire du Conseil de l'Europe a demandŽ au gouvernement amŽricain, entre
autres, Ç de ne pas renvoyer ou transfŽrer les dŽtenus en se fondant sur
des Ç assurances diplomatiques È de pays connus pour recourir
systŽmatiquement ˆ la torture et dans tous les cas si l'absence de risque de mauvais
traitement n'est pas fermement Žtablie È.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLƒGUƒE DE L'ARTICLE
3 DE LA CONVENTION
28. Le requŽrant
allgue que son expulsion vers la Tunisie l'expose au risque d'tre torturŽ. Il
invoque l'article 3 de la Convention.
Cette disposition se lit ainsi :
Ç Nul ne peut tre soumis ˆ la torture ni ˆ
des peines ou traitements inhumains ou dŽgradants. È
29. Le Gouvernement
s'oppose ˆ cette thse.
A. Sur la recevabilitŽ
30. La Cour
constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondŽ au sens de l'article 35
¤ 3 de la Convention. La Cour relve par ailleurs qu'il ne se heurte ˆ aucun
autre motif d'irrecevabilitŽ. Il convient donc de le dŽclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
31. Le requŽrant
allgue que plusieurs tunisiens expulsŽs sous le prŽtexte qu'ils seraient des
terroristes n'ont plus donnŽ signe de vie. Les enqutes menŽes par Amnesty
International et par le DŽpartement d'Etat des Etats-Unis d'AmŽrique, qui
dŽmontreraient que la torture est pratiquŽe en Tunisie, confirmeraient cette
allŽgation. La thse du Gouvernement, qui soutient que la situation des droits
de l'homme en Tunisie s'est amŽliorŽe, ne reposerait sur aucun ŽlŽment
objectif.
32. Le requŽrant
qualifie de propagande les assurances diplomatiques fournies par la Tunisie, et
affirme qu'elles ne sont pas fiables. En tout Žtat de cause, le Gouvernement n'aurait
entamŽ des pourparlers aux fins de l'obtention de telles assurances que le 3
janvier 2009, c'est-ˆ-dire aprs l'expulsion, acceptant ainsi le risque que le
requŽrant fžt torturŽ.
33. Les autoritŽs tunisiennes auraient pour pratique de menacer et de maltraiter les prisonniers et leurs familles. Il en veut pour preuve le fait que les autoritŽs tunisiennes auraient refusŽ pendant plusieurs mois de renouveler le passeport de son Žpouse, afin de lui empcher de le rejoindre en Tunisie et de vŽrifier les conditions de sa dŽtention.
34. Le Gouvernement souligne que les allŽgations relatives ˆ un danger d'tre exposŽ ˆ la torture ou ˆ des traitements inhumains et dŽgradants doivent tre ŽtayŽes par des ŽlŽments de preuve adŽquats, et estime que cela n'a pas ŽtŽ le cas en l'espce.
35. A cet Žgard, il affirme que les informations fournies par les sources internationales citŽes par l'intŽressŽ ont ŽtŽ dŽmenties suite aux expulsions, en 2007 et 2008, de MM Ben Khemais et Cherif (voir arrts Ben Khemais c. Italie, no 246/07, CEDH 2009‑... (extraits) ; Cherif et autres c. Italie, no 1860/07, 7 avril 2009), des ressortissants tunisiens qui n'ont jamais fourni la preuve d'avoir ŽtŽ torturŽs ou soumis ˆ des mauvais traitements ni pendant leur dŽtention dans les prisons tunisiennes ni suite ˆ leur mise en libertŽ.
36. Le Gouvernement affirme que ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent le droit ˆ l'asile politique. L'interprŽtation de la Cour selon laquelle le refoulement est interdit en cas de risque de mauvais traitements mme si le requŽrant reprŽsente un danger pour la sŽcuritŽ du pays d'accueil reviendrait ˆ une abrogation de facto des autres traitŽs internationaux en matire de droit d'asile politique et d'octroi du statut de rŽfugiŽ.
37. En l'espce, le requŽrant n'aurait ŽtŽ expulsŽ qu'aprs l'obtention de garanties officieuses qu'il ne serait pas soumis ˆ des traitements contraires ˆ la Convention, et son dossier aurait ensuite ŽtŽ formalisŽ lors d'une visite en Tunisie des autoritŽs italiennes. Celles-ci auraient reu des assurances diplomatiques suffisantes quant ˆ la sŽcuritŽ et au bien-tre du requŽrant ; et n'y accorder aucun crŽdit reviendrait ˆ douter de la bonne foi des autoritŽs tunisiennes et ˆ briser un dialogue intergouvernemental et international trs fructueux. Soulignant que dans l'affaire Saadi prŽcitŽe, la Cour elle-mme a demandŽ si de telles assurances avaient ŽtŽ sollicitŽes et obtenues, le Gouvernement estime que, sans qu'il soit question de les remettre en cause, les principes affirmŽs par la Grande Chambre doivent tre adaptŽs aux circonstances factuelles particulires du cas d'espce.
38. Quant ˆ la situation du requŽrant aprs son expulsion, le Gouvernement se rŽfre aux informations complŽmentaires fournies par la Tunisie le 14 octobre 2009, selon lesquelles l'intŽressŽ bŽnŽficierait des visites rŽgulires de sa famille et jouirait d'un Žtat de santŽ satisfaisant.
39. Le Gouvernement fait valoir que lesdites informations complŽmentaires ne proviennent pas de l'avocat gŽnŽral ˆ la direction gŽnŽrale des services judiciaires, mais du Ministre tunisien des Affaires ƒtrangre, soit l'autoritŽ compŽtente pour donner ces assurances au nom de l'Etat. A ce propos, il invite la Cour ˆ s'Žcarter de ses conclusions dans l'affaire Ben Khemais (prŽcitŽ, ¤ 59) concernant le manque de compŽtence de l'avocat gŽnŽral ˆ la direction gŽnŽrale des services judiciaires pour donner des assurances diplomatiques au nom de l'Etat tunisien.
2. ApprŽciation de la Cour
40. Les principes
gŽnŽraux relatifs ˆ la responsabilitŽ des Etats contractants en cas d'expulsion,
aux ŽlŽments ˆ retenir pour Žvaluer le risque d'exposition ˆ des traitements
contraires ˆ l'article 3 de la Convention et ˆ la notion de
Ç torture È et de Ç traitements inhumains et dŽgradants È
sont rŽsumŽs dans l'arrt Saadi (prŽcitŽ,
¤¤ 124-136), dans lequel la Cour a Žgalement rŽaffirmŽ l'impossibilitŽ de
mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoquŽs pour
l'expulsion afin de dŽterminer si la responsabilitŽ d'un Etat est engagŽe sur
le terrain de l'article 3 (¤¤ 137-141).
41. La Cour
rappelle les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l'affaire Saadi prŽcitŽe (¤¤ 143-146), qui Žtaient
les suivantes :
- les textes
internationaux pertinents font Žtat de cas nombreux et rŽguliers de torture et
de mauvais traitements infligŽs en Tunisie ˆ des personnes souponnŽes ou
reconnues coupables de terrorisme ;
- ces textes
dŽcrivent une situation prŽoccupante ;
- les visites du
ComitŽ international de la Croix-Rouge dans les lieux de dŽtention tunisiens ne
peuvent dissiper le risque de soumission ˆ des traitements contraires ˆ l'article
3 de la Convention.
42. La Cour ne voit en l'espce aucune raison de revenir sur ces conclusions, qui se trouvent d'ailleurs confirmŽes par le rapport 2008 d'Amnesty International relatif ˆ la Tunisie (voir le paragraphe 26 ci-dessus). Elle note de surcro”t que le requŽrant a ŽtŽ condamnŽ en Tunisie ˆ de lourdes peines d'emprisonnement pour appartenance, en temps de paix, ˆ une organisation terroriste. L'existence de ces condamnations, prononcŽes par contumace par des tribunaux militaires, a ŽtŽ confirmŽe par les autoritŽs tunisiennes (voir le paragraphe 22 ci-dessus).
43. Dans ces conditions, la Cour estime qu'en l'espce, des faits sŽrieux et avŽrŽs justifient de conclure ˆ un risque rŽel de voir le requŽrant subir des traitements contraires ˆ l'article 3 de la Convention en Tunisie (voir, mutatis mutandis, Saadi, prŽcitŽ, ¤ 146). Il reste ˆ vŽrifier si les assurances diplomatiques fournies par les autoritŽs tunisiennes suffisent ˆ Žcarter ce risque et si les renseignements relatifs ˆ la situation du requŽrant aprs son expulsion ont confirmŽ l'avis du gouvernement dŽfendeur quant au bien-fondŽ des craintes du requŽrant.
44. A cet Žgard, la Cour rappelle, premirement, que l'existence de textes internes et l'acceptation de traitŽs internationaux garantissant, en principe, le respect des droits fondamentaux ne suffisent pas, ˆ elles seules, ˆ assurer une protection adŽquate contre le risque de mauvais traitements lorsque, comme en l'espce, des sources fiables font Žtat de pratiques des autoritŽs – ou tolŽrŽes par celles-ci – manifestement contraires aux principes de la Convention (Saadi, prŽcitŽ, ¤ 147 in fine). Deuximement, il appartient ˆ la Cour d'examiner si les assurances donnŽes par l'Etat de destination fournissent, dans leur application effective, une garantie suffisante quant ˆ la protection du requŽrant contre le risque de traitements interdits par la Convention (Chahal, prŽcitŽ, ¤ 105). Le poids ˆ accorder aux assurances Žmanant de l'Etat de destination dŽpend en effet, dans chaque cas, des circonstances prŽvalant ˆ l'Žpoque considŽrŽe (Saadi, prŽcitŽ, ¤ 148 in fine).
45. En la prŽsente espce, l'avocat gŽnŽral ˆ la direction gŽnŽrale des services judiciaires a assurŽ que la dignitŽ humaine du requŽrant serait respectŽe en Tunisie, qu'il ne serait pas soumis ˆ la torture, ˆ des traitements inhumains ou dŽgradants ou ˆ une dŽtention arbitraire, qu'il bŽnŽficierait de soins mŽdicaux appropriŽs et qu'il pourrait recevoir des visites de son avocat et des membres de sa famille. Outre les lois tunisiennes pertinentes et les traitŽs internationaux signŽs par la Tunisie, ces assurances reposent sur les ŽlŽments suivants :
- les contr™les pratiquŽs par le juge d'exŽcution des peines, par le comitŽ supŽrieur des droits de l'homme et des libertŽs fondamentales (institution nationale indŽpendante) et par les services de l'inspection gŽnŽrale du ministre de la Justice et des Droits de l'homme ;
- deux cas de condamnation d'agents de l'administration pŽnitentiaire et d'un agent de police pour mauvais traitements ;
- la jurisprudence interne, aux termes de laquelle un aveu extorquŽ sous la contrainte est nul et non avenu (voir le paragraphe 22, chapitre II, ci-dessus).
46. La Cour note, cependant, qu'il n'est pas Žtabli que l'avocat gŽnŽral ˆ la direction gŽnŽrale des services judiciaires Žtait compŽtent pour donner ces assurances au nom de l'Etat (voir, mutatis mutandis, Soldatenko c. Ukraine, no 2440/07, ¤ 73, 23 octobre 2008). De plus, compte tenu du fait que des sources internationales sŽrieuses et fiables ont indiquŽ que les allŽgations de mauvais traitements n'Žtaient pas examinŽes par les autoritŽs tunisiennes compŽtentes (Saadi, prŽcitŽ, ¤ 143), le simple rappel de deux cas de condamnation d'agents de l'Etat pour coups et blessures sur des dŽtenus ne saurait suffire ˆ Žcarter le risque de tels traitements ni ˆ convaincre la Cour de l'existence d'un systme effectif de protection contre la torture, en l'absence duquel il est difficile de vŽrifier que les assurances donnŽes seront respectŽes. A cet Žgard, la Cour rappelle que dans son rapport 2008 relatif ˆ la Tunisie, Amnesty International a prŽcisŽ notamment que, bien que de nombreux dŽtenus se soient plaints d'avoir ŽtŽ torturŽs pendant leur garde ˆ vue, Ç les autoritŽs n'ont pratiquement jamais menŽ d'enqute ni pris une quelconque mesure pour traduire en justice les tortionnaires prŽsumŽs È.
47. De plus, dans l'arrt Saadi prŽcitŽ (¤ 146), la Cour a constatŽ une rŽticence des autoritŽs tunisiennes ˆ coopŽrer avec les organisations indŽpendantes de dŽfense des droits de l'homme, telles que Human Rights Watch. Dans son rapport 2008 prŽcitŽ, Amnesty International a par ailleurs notŽ que, bien que le nombre de membres du comitŽ supŽrieur des droits de l'homme ait ŽtŽ accru, celui-ci Ç n'incluait pas d'organisations indŽpendantes de dŽfense des droits fondamentaux È. L'impossibilitŽ pour le reprŽsentant du requŽrant devant la Cour de rendre visite ˆ son client emprisonnŽ en Tunisie confirme la difficultŽ d'accs des prisonniers tunisiens ˆ des conseils Žtrangers indŽpendants mme lorsqu'ils sont parties ˆ des procŽdures judiciaires devant des juridictions internationales. Ces dernires risquent donc, une fois un requŽrant expulsŽ en Tunisie, de se trouver dans l'impossibilitŽ de vŽrifier sa situation et de conna”tre d'Žventuels griefs qu'il pourrait soulever quant aux traitements auxquels il est soumis. Pareilles vŽrifications semblent Žgalement impossibles au gouvernement dŽfendeur, dont l'ambassadeur ne pourra pas voir le requŽrant dans son lieu de dŽtention.
48. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait souscrire ˆ la thse du Gouvernement selon laquelle les assurances donnŽes en la prŽsente espce offrent une protection efficace contre le risque sŽrieux que court le requŽrant d'tre soumis ˆ des traitements contraires ˆ l'article 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Soldatenko, prŽcitŽ, ¤¤ 73-74). Elle rappelle au contraire le principe affirmŽ par l'AssemblŽe parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa rŽsolution 1433(2005), selon lequel les assurances diplomatiques ne peuvent suffire lorsque l'absence de danger de mauvais traitement n'est pas fermement Žtablie (voir le paragraphe 27 ci-dessus).
49. Pour ce qui
est, enfin, des informations fournies par le Gouvernement quant ˆ la situation
du requŽrant en Tunisie, il convient de rappeler que si, pour contr™ler l'existence
d'un risque de mauvais traitements, il faut se rŽfŽrer en prioritŽ aux
circonstances dont l'Etat en cause avait ou devait avoir connaissance au moment
de l'expulsion, cela n'empche pas la Cour de tenir compte de renseignements
ultŽrieurs, qui peuvent servir ˆ confirmer ou infirmer la manire dont la
Partie contractante concernŽe a jugŽ du bien-fondŽ des craintes d'un requŽrant
(Mamatkulov et Askarov, prŽcitŽ, ¤ 69 ; Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni,
30 octobre 1991, ¤ 107, sŽrie A no 215 ; Cruz Varas et autres c. Sude, 20 mars 1991, ¤¤ 75-76,
sŽrie A no 201).
50. La Cour relve que le Ministre des Affaires ƒtrangres tunisien a fait savoir que le requŽrant reoit rŽgulirement la visite de son Žpouse et des autres membres de sa famille. En outre, celui-ci ferait l'objet d'un suivi mŽdical rŽgulier en prison.
51. De l'avis de la
Cour, ces affirmations, bien que provenant directement du Ministre des
Affaires ƒtrangres tunisien, n'ont pas ŽtŽ corroborŽes par des rapports
mŽdicaux et ne sont pas en mesure de dŽmontrer que le requŽrant n'a pas subi de
traitements contraires ˆ l'article 3 de la Convention. A cet Žgard, la Cour ne
peut que rŽitŽrer ses observations quant ˆ l'impossibilitŽ pour le reprŽsentant
du requŽrant devant elle et pour l'ambassadeur d'Italie ˆ Tunis de le visiter
en prison et de vŽrifier le respect effectif de son intŽgritŽ physique et de sa
dignitŽ humaine (Ben
Khemais c.
Italie, no
246/07, ¤ 64, CEDH 2009‑...
(extraits).
52. Partant, la mise ˆ exŽcution de l'expulsion du requŽrant vers la Tunisie a violŽ l'article 3 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLƒGUƒE DE L'ARTICLE
8 DE LA CONVENTION
53. Le requŽrant
allgue que son expulsion vers la Tunisie le priverait des liens affectifs avec
son Žpouse et ses deux enfants rŽsidant en Italie, garantis par l'article 8 de
la Convention.
54. Le Gouvernement
conteste cette thse.
55. La Cour
considre que ce grief est recevable (Saadi,
prŽcitŽ, ¤ 163). Cependant, ayant constatŽ que l'expulsion du requŽrant vers la
Tunisie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention, elle n'estime
pas nŽcessaire de trancher sŽparŽment la question de savoir si ladite expulsion
a mŽconnu Žgalement le droit au respect de la vie privŽe et familiale du
requŽrant.
III. SUR LA VIOLATION ALLƒGUƒE DE L'ARTICLE
34 DE LA CONVENTION
56. Le requŽrant dŽnonce
le non-respect par le gouvernement italien de la mesure provisoire indiquŽe en
vertu de l'article 39 du rglement de la Cour par la prŽsidente de la deuxime
section.
57. Le Gouvernement
estime ne pas avoir manquŽ ˆ ses obligations.
58. La Cour estime
que ce grief se prte ˆ tre examinŽ sous l'angle de l'article 34 de la
Convention, qui se lit ainsi :
Ç La Cour peut tre saisie d'une requte par
toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe
de particuliers qui se prŽtend victime d'une violation par l'une des Hautes
Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles.
Les Hautes Parties contractantes s'engagent ˆ n'entraver par aucune mesure l'exercice
efficace de ce droit. È
A. Sur la recevabilitŽ
59. La Cour
constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondŽ au sens de l'article 35
¤ 3 de la Convention. Elle relve par ailleurs qu'il ne se heurte ˆ aucun autre
motif d'irrecevabilitŽ. Il convient donc de le dŽclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
60. Tout en reconnaissant l'importance des mesures provisoires, le Gouvernement soutient qu'elles ne trouvent ˆ s'appliquer que lorsqu'il y a un danger imminent de dommage irrŽparable et que les voies de recours internes ont ŽtŽ ŽpuisŽes, ce qui n'aurait pas ŽtŽ le cas en l'espce, le requŽrant n'ayant pas attaquŽ la dŽcision du 4 dŽcembre 2008 par laquelle le juge d'application des peines de Pavie confirma son expulsion.
61. En outre, l'expulsion ayant ŽtŽ exŽcutŽe suite ˆ l'obtention par l'Italie de garanties formelles et tranquillisantes de la part des autoritŽs tunisiennes quant au respect des principes ŽnoncŽs dans l'arrt Saadi, l'inobservation de la mesure provisoire n'aurait portŽ atteinte ˆ aucun intŽrt protŽgŽ par la Convention.
62. Le requŽrant
souligne que les assurances diplomatiques tunisiennes parvinrent aux autoritŽs
italiennes seulement le 3 janvier 2009, soit un mois environ aprs l'exŽcution
de son expulsion. Dans ces conditions, le Gouvernement ne saurait prŽtendre
avoir dŽcidŽ de l'expulser sur la base de garanties formelles fournies par la
Tunisie.
2. ApprŽciation de la Cour
a) Principes gŽnŽraux
63. La Cour
rappelle que l'article 39 du rglement habilite les chambres ou, le cas
ŽchŽant, leur prŽsident ˆ indiquer des mesures provisoires. De telles mesures n'ont
ŽtŽ indiquŽes que lorsque cela Žtait strictement nŽcessaire et dans des
domaines limitŽs, en principe en prŽsence d'un risque imminent de dommage
irrŽparable. Dans la grande majoritŽ des cas, il s'agissait d'affaires d'expulsion
et d'extradition. Les affaires dans lesquelles les Etats ne se sont pas
conformŽs aux mesures indiquŽes sont rares (Mamatkulov
et Askarov, prŽcitŽ, ¤¤
103-105).
64. Dans des
affaires telles que la prŽsente, o l'existence d'un risque de prŽjudice
irrŽparable ˆ la jouissance par le requŽrant de l'un des droits qui relvent du
noyau dur des droits protŽgŽs par la Convention est allŽguŽe de manire
plausible, une mesure provisoire a pour but de maintenir le statu quo en attendant que la Cour se
prononce sur la justification de la mesure. Ds lors qu'elle vise ˆ prolonger l'existence
de la question qui forme l'objet de la requte, la mesure provisoire touche au
fond du grief tirŽ de la Convention. Par sa requte, le requŽrant cherche ˆ
protŽger d'un dommage irrŽparable le droit ŽnoncŽ dans la Convention qu'il
invoque. En consŽquence, le requŽrant demande une mesure provisoire, et la Cour
l'accorde, en vue de faciliter Ç l'exercice efficace È du droit de
recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention, c'est-ˆ-dire de
prŽserver l'objet de la requte lorsqu'elle estime qu'il y a un risque que
celui-ci subisse un dommage irrŽparable en raison d'une action ou omission de l'Etat
dŽfendeur (Mamatkulov et Askarov, prŽcitŽ, ¤ 108).
65. Dans le cadre
du contentieux international, les mesures provisoires ont pour objet de
prŽserver les droits des parties, en permettant ˆ la juridiction de donner
effet aux consŽquences de la responsabilitŽ engagŽe dans la procŽdure
contradictoire. En particulier, dans le systme de la Convention, les mesures
provisoires, telles qu'elles ont ŽtŽ constamment appliquŽes en pratique, se
rŽvlent d'une importance fondamentale pour Žviter des situations irrŽversibles
qui empcheraient la Cour de procŽder dans de bonnes conditions ˆ un examen de
la requte et, le cas ŽchŽant, d'assurer au requŽrant la jouissance pratique et
effective du droit protŽgŽ par la Convention qu'il invoque. Ds lors, dans ces
conditions, l'inobservation par un Etat dŽfendeur de mesures provisoires met en
pŽril l'efficacitŽ du droit de recours individuel, tel que garanti par l'article
34, ainsi que l'engagement formel de l'Etat, en vertu de l'article 1, de
sauvegarder les droits et libertŽs ŽnoncŽs dans la Convention. De telles mesures
permettent Žgalement ˆ l'Etat concernŽ de s'acquitter de son obligation de se
conformer ˆ l'arrt dŽfinitif de la Cour, lequel est juridiquement contraignant
en vertu de l'article 46 de la Convention (Mamatkulov
et Askarov, prŽcitŽ, ¤¤
113 et 125).
66. Il s'ensuit que
l'inobservation de mesures provisoires par un Etat contractant doit tre
considŽrŽe comme empchant la Cour d'examiner efficacement le grief du
requŽrant et entravant l'exercice efficace de son droit et, partant, comme une
violation de l'article 34 (Mamatkulov et
Askarov, prŽcitŽ, ¤
128).
b) Application de ces principes au cas
d'espce
67. En l'occurrence,
l'Italie ayant expulsŽ le requŽrant vers la Tunisie, le niveau de protection
des droits ŽnoncŽs dans l'article 3 la Convention que la Cour pouvait garantir
ˆ l'intŽressŽ a ŽtŽ amoindri de manire irrŽversible. Elle a pour le moins ™tŽ
toute utilitŽ ˆ l'Žventuel constat de violation de la Convention, le requŽrant
ayant ŽtŽ ŽloignŽ vers un pays qui n'est pas partie ˆ la Convention, o il
allŽguait risquer d'tre soumis ˆ des traitements contraires ˆ celle-ci.
68. En outre, l'efficacitŽ de l'exercice du droit de recours implique aussi que la Cour puisse, tout au long de la procŽdure engagŽe devant elle, examiner la requte selon sa procŽdure habituelle. Or, en l'espce, le requŽrant a ŽtŽ expulsŽ. Ainsi, ayant perdu tout contact avec son avocat, il a ŽtŽ privŽ de la possibilitŽ de susciter, dans le cadre de l'administration des preuves, certaines recherches propres ˆ Žtayer ses allŽgations sur le terrain de la Convention. Les autoritŽs tunisiennes ont par ailleurs confirmŽ que le reprŽsentant du requŽrant devant la Cour ne pourra pas tre autorisŽ ˆ visiter son client en prison.
69. De plus, la Cour note que le Gouvernement dŽfendeur, avant d'expulser le requŽrant, n'a pas demandŽ la levŽe de la mesure provisoire adoptŽe aux termes de l'article 39 du rglement de la Cour, qu'il savait tre toujours en vigueur, et a procŽdŽ ˆ l'expulsion avant mme d'obtenir les assurances diplomatiques qu'il invoque dans ses observations.
70. Les faits de la
cause, tels qu'ils sont exposŽs ci-dessus, montrent clairement qu'en raison de
son expulsion vers la Tunisie, le requŽrant n'a pu dŽvelopper tous les
arguments pertinents pour sa dŽfense et que l'arrt de la Cour risque d'tre
privŽ de tout effet utile. En particulier, le fait que le requŽrant a ŽtŽ
soustrait ˆ la juridiction de l'Italie constitue un obstacle sŽrieux qui
pourrait empcher le Gouvernement de s'acquitter de ses obligations (dŽcoulant
des articles 1 et 46 de la Convention) de sauvegarder les droits de l'intŽressŽ
et d'effacer les consŽquences des violations constatŽes par la Cour. Cette
situation a constituŽ une entrave ˆ l'exercice effectif par le requŽrant de son
droit de recours individuel garanti par l'article 34 de la Convention, droit
que son expulsion a rŽduit ˆ nŽant (Ben Khemais,
prŽcitŽ, ¤ 87).
c) Conclusion
71. Compte tenu des ŽlŽments en sa possession, la Cour conclut qu'en ne se conformant pas ˆ la mesure provisoire indiquŽe en vertu de l'article 39 de son rglement, l'Italie n'a pas respectŽ les obligations qui lui incombaient en l'espce au regard de l'article 34 de la Convention.
IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE
41 DE LA CONVENTION
72. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
Ç Si la Cour dŽclare qu'il y a eu violation de la
Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie
contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les consŽquences de cette
violation, la Cour accorde ˆ la partie lŽsŽe, s'il y a lieu, une satisfaction
Žquitable. È
A. Dommage
73. Le requŽrant sollicite 80 000 EUR au titre du prŽjudice moral qu'il estime avoir subi.
74. Le Gouvernement
s'oppose ˆ l'octroi de toute somme ˆ titre de satisfaction Žquitable, estimant
qu'un Žventuel constat de violation constituerait une satisfaction Žquitable
suffisante.
75. La Cour estime
que le requŽrant a subi un tort moral certain en raison de la mise ˆ exŽcution
de la dŽcision de l'expulser. Statuant en ŽquitŽ, comme le veut l'article 41 de
la Convention, elle lui octroie 15 000 EUR ˆ ce titre.
B. Frais et dŽpens
76. Justificatifs ˆ
l'appui, le requŽrant demande Žgalement 1 474,92 EUR pour les frais et
dŽpens engagŽs devant le tribunal d'application des peines de Pavie et 15 775,45
EUR pour ceux engagŽs devant la Cour.
77. Le Gouvernement
s'y oppose.
78. Selon la jurisprudence de la Cour, un requŽrant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dŽpens que dans la mesure o se trouvent Žtablis leur rŽalitŽ, leur nŽcessitŽ et le caractre raisonnable de leur taux. En l'espce et compte tenu des documents en sa possession et des critres susmentionnŽs, la Cour juge excessifs les montants sollicitŽs ˆ titre de frais et dŽpens. Elle estime raisonnable la somme de 1 000 EUR pour la procŽdure devant les autoritŽs nationales et la somme de 5 000 EUR pour la procŽdure devant elle, et les accorde au requŽrant.
C. IntŽrts moratoires
79. La Cour juge
appropriŽ de calquer le taux des intŽrts moratoires sur le taux d'intŽrt de
la facilitŽ de prt marginal de la Banque centrale europŽenne majorŽ de trois
points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, Ë L'UNANIMITƒ,
1. DŽclare
la requte recevable ;
2. Dit
que la mise ˆ exŽcution de la dŽcision d'expulser le requŽrant vers la Tunisie
a violŽ l'article 3 de la Convention ;
3. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner sŽparŽment si la mise ˆ exŽcution de la dŽcision d'expulser le requŽrant vers la Tunisie a violŽ l'article 8 de la Convention ;
4. Dit qu'il
y a eu violation de l'article 34 de la Convention ;
5. Dit
a) que l'Etat dŽfendeur doit verser au requŽrant, dans les trois mois ˆ compter du jour o l'arrt sera devenu dŽfinitif conformŽment ˆ l'article 44 ¤ 2 de la Convention, les sommes suivantes :
(i) 15 000 EUR (quinze mille euros), plus tout montant pouvant tre dž ˆ titre d'imp™t, pour dommage moral ;
(ii) 6 000 EUR (six mille
euros), plus tout montant pouvant tre dž ˆ titre d'imp™t par le requŽrant,
pour frais et dŽpens ;
b) qu'ˆ compter de l'expiration dudit
dŽlai et jusqu'au versement, ces montants seront ˆ majorer d'un intŽrt simple
ˆ un taux Žgal ˆ celui de la facilitŽ de prt marginal de la Banque centrale
europŽenne applicable pendant cette pŽriode, augmentŽ de trois points de
pourcentage ;
6. Rejette
la demande de satisfaction Žquitable pour le surplus.
Fait en franais, puis communiquŽ par Žcrit
le 13 avril 2010, en application de l'article 77 ¤¤ 2 et 3 du rglement.
Franoise
Elens-Passos Franoise
Tulkens
Greffire
adjointe PrŽsidente