TEXTE de THOMAS HAMMARBERG

 

 

 

Ç Des Etats europŽens ont expulsŽ des personnes vers des pays o elles risquent dĠtre soumises ˆ la torture ou ˆ dĠautres mauvais traitements, alors que la Cour europŽenne des droits de l'homme leur avait demandŽ expressŽment de ne pas procŽder ˆ ces expulsions. Ce manque de respect envers la Cour et le principe de la prŽŽminence du droit met des vies en danger.

 

En vertu de lĠarticle 39 de son rglement, la Cour europŽenne de Strasbourg peut demander ˆ un Etat de surseoir ˆ lĠexpulsion dĠun Žtranger jusquĠˆ ce quĠelle ait examinŽ lĠaffaire. Or, dans plusieurs affaires graves, ces dŽcisions de la Cour nĠont pas ŽtŽ respectŽes et des personnes ont ŽtŽ expulsŽes vers des pays o elles risquent dĠtre soumises ˆ la torture ou ˆ dĠautres mauvais traitements.

 

Le 1er mai 2010, les autoritŽs italiennes ont renvoyŽ M. Mannai, un ressortissant tunisien, dans son pays dĠorigine, alors que la Cour leur avait demandŽ dĠy renoncer jusquĠˆ nouvel ordre. Ce nĠŽtait pas la premire fois : dans au moins trois autres affaires, lĠItalie avait dŽjˆ ignorŽ les mesures provisoires indiquŽes par la Cour en vertu de lĠarticle 39 et expulsŽ des requŽrants vers la Tunisie.

 

DĠautres Etats ont agi de la sorte. Ainsi par exemple, le 19 avril 2010, les autoritŽs slovaques ont dŽcidŽ dĠextrader M. Labsi, un ressortissant algŽrien, vers lĠAlgŽrie, au mŽpris de la mesure provisoire indiquŽe par la Cour.

 

LĠarticle 39 est vital pour les requŽrants. En effet, la Cour reprŽsente souvent leur dernier espoir dĠŽchapper au retour forcŽ dans un pays o ils risquent dĠtre exposŽs ˆ un traitement contraire ˆ la Convention europŽenne des droits de l'homme – notamment en lĠabsence de recours internes qui permettraient de suspendre la procŽdure dĠexpulsion.

 

Les mesures indiquŽes par la Cour sont juridiquement contraignantes. Parce quĠelles nĠavaient pas ŽtŽ mises en Ïuvre de manire pleine et effective, des requŽrants ont ŽtŽ expulsŽs vers des pays o ils ont ensuite ŽtŽ emprisonnŽs, voire torturŽs. Par exemple, deux personnes expulsŽes dĠItalie ont ŽtŽ dŽtenues ˆ leur arrivŽe en Tunisie ; selon des informations fournies par des ONG, des requŽrants ont ŽtŽ torturŽs en OuzbŽkistan ; et il y a dĠautres personnes expulsŽes dont on a perdu toute trace.

 

Le recours ˆ lĠarticle 39 est devenu plus frŽquent ces dernires annŽes. Durant la seule annŽe 2009, la Cour a reu plus de 2 000 demandes ; elle a accŽdŽ ˆ 27 pour cent dĠentre elles. On constate en outre une augmentation du nombre de demandes dĠapplication de lĠarticle 39 visant ˆ suspendre des transferts de demandeurs dĠasile vers la Grce en vertu du Ç rglement de Dublin È du Conseil de lĠUnion europŽenne.

 

LĠarticle 39 du rglement de la Cour est Žtroitement liŽ au droit de saisir la Cour dĠune requte individuelle, garanti par la Convention europŽenne des droits de l'homme (article 34) : une requte adressŽe ˆ la Cour de Strasbourg risque de nĠavoir aucun effet si le requŽrant a quittŽ le territoire de lĠEtat dŽfendeur.

 

Dans certains cas, les requŽrants dont lĠexpulsion a ŽtŽ suspendue se sont finalement vu accorder le statut de rŽfugiŽ ou un autre statut leur permettant de rester dans le pays o ils se trouvaient. Ces dŽcisions montrent que les craintes des requŽrants Žtaient justifiŽes et quĠils auraient couru un grave danger sĠils avaient ŽtŽ expulsŽs avant que la Cour ait pu se prononcer sur le bien-fondŽ de leurs requtes.

 

Les mesures provisoires ordonnŽes par la Cour devraient toujours tre scrupuleusement respectŽes par les Etats membres. Ne pas sĠy conformer, cĠest donner le mauvais exemple aux autres Etats et compromettre sŽrieusement lĠefficacitŽ du systme europŽen de protection des droits de l'homme. La raison dĠtre de lĠarticle 39 est de sauver des vies. È

 

Thomas Hammarberg