Chers collgues,
Aprs avoir pris
connaissance du message qu'Henriette AssŽo a souhaitŽ faire parvenir aux
diffŽrentes adresses de votre mailing list, quelques mots de la part
des auteurs concernant les hypothses avancŽes dans le projet de loi figurant dans
lÕouvrage en question ici.
Nous ne pouvons bien
sžr que nous fŽliciter
qu'un un vif et intense dŽbat puisse avoir lieu au regard de ce que le droit
est en mesure de mettre en Ïuvre afin d'amŽliorer la condition de ceux qui sont
marginalisŽs en simple vertu de leur ÒidentitŽÓ rom.
Il est toutefois
dÕintŽrt gŽnŽral que ces critiques, pour le moins, soient spŽcifiques et que
ne se soustraient pas ˆ considŽrer l'essence, le but de notre hypothse de projet
de loi.
Et celle-ci en
l'occurrence visait en premier lieu ˆ proposer un cadre lŽgislatif ˆ mme
d'apporter en Italie des modifications ou corrections quant aux
dysfonctionnements de l'Žtat de droit liŽs ˆ la stigmatisation de lÕidentitŽ
rom.
Le droit est un
instrument d'organisation du corps social. Et le but poursuivi ici ne peut tre
autre que d'envisager cet instrument selon ses spŽcificitŽs, sur la base des
rgles de droit du pays et de la sociŽtŽ concernŽe; pas une autre.
Il n'est au cÏur de
ce projet aucune volontŽ de ÒdiffŽrenciationÓ des roms, mais plut™t, ce dans le
cadre juridique et social italien, le dŽsir de tout simplement ramener lÕŽtat
du droit ˆ son fonctionnement ordinaire et ˆ ses principes fondamentaux.
Notre projet nÕisole
par ailleurs aucun facteur comme ÇcaractŽristiqueÈ de lÕidentitŽ rom. Et il ne
s'agit lˆ en aucun cas d'un projet conu ˆ partir dÕune 'certaine' idŽe des
Roms, mais au contraire, d'un point de vue juridique, dÕune observation
empirique des effets d'un antitsiganisme touchant aussi bien des Roms italiens,
des Roms, Žtrangers, que des personnes ne se reconnaissant aucunement dans
lÕidentitŽ rom.
Bien que les auteurs
enfin aient donnŽ toute lÕattention nŽcessaire aux Žtudes et recherches ayant
ŽtŽ menŽes sur les Roms dans le champ des sciences sociales, ce projet est
nŽanmoins le rŽsultat dÕune analyse se rŽclamant essentiellement juridique
quant ˆ lÕŽtat actuel du systme institutionnel italien et en consŽquence dans
ce contexte, de ce qu'il est possible d'envisager sur le plan du droit.
Les solutions
proposŽes se rŽvlent en ce sens spŽcifiques aux particularismes du droit
italien et n'ont par ailleurs aucune vocation ˆ reprŽsenter 'une prise de
champ' dans le domaine du social ou du politique.
Le contexte juridique
franais, que l'on se rassure donc, est trs diffrent pour ce qui concerne le
statut des minoritŽs ou encore la conception constitutionnelle du principe
dÕŽgalitŽ, serait ds lors totalement inadaptŽ aux solutions envisagŽes
ailleurs.
Les critiques sont
donc bienvenues et utiles si elle nÕoublient pas le contexte du projet
considŽrŽ. Dans le cas contraire, le risque est tout bonnement dÕoublier que si
un juriste peut tre en mesure d'instrumentaliser les sciences sociales, le non
juriste n'est quant ˆ lui pas totalement ˆ l'abri de mes-entendre la logique
dÕune rgle de droit.
Qui entend ainsi
aller voir ˆ la substance des choses, entend Žgalement s'interroger sur un
certain nombres de points qu'il nous importe de prŽciser ici.
1) les dispositions
sur les minoritŽs, comme la convention europŽenne sur la protection des
minoritŽs nationales prŽvoient des normes de protection quant aux aspects
'caractŽristiques' de la vie individuelle et collective de chaque minoritŽ,
mais aussi des normes de promotion de l'ŽgalitŽ des chances dans le domaine de
l'emploi, de la culture, de l'Žducation et de l'accs aux services du logement
etc.
2) Des
recommandations de l'Union EuropŽenne prŽvoient Žgalement dans cette optique
des mesures spŽcifiques ˆ adopter pour favoriser l'inclusion sociale des Roms,
visant ˆ supprimer les obstacles lŽgaux ou de pratiques illŽgitimes ayant une
application prŽdominante ˆ l'encontre de ces derniers; qu'il s'agisse en cela
de la protection des droits linguistico-culturels de la minoritŽ ou encore de
mesures prŽvues afin de favoriser l'ŽgalitŽ des chances dans des domaines o
les membres de chaque minoritŽ Žvoluent dans des conditions objectivement
dŽfavorisŽes. Chaque Etat, aux fins de rejoindre ces objectifs Žtant libre
d'adopter les mesures nŽcessaires et de mettre en place les instruments systme
juridique et selon les principes et les limites de par sa constitution.
3)
le systme constitutionnel italien (ˆ la diffŽrence de celui de la France
ou de l'Espagne) prŽvoit expressŽment le principe que la loi doit protŽger avec
des dispositions spŽcifiques toute minoritŽ linguistique (art. 6 Const.), ainsi
que l'obligation pour les pouvoirs publiques de veiller ˆ la suppression de
tout obstacle d'ordre Žconomique et social qui, en empchant de fait la libertŽ
et l'ŽgalitŽ des personnes, en limite la participation ˆ la vie sociale,
Žconomique et politique (art. 3, alinŽa 2 Const.: principe d'ŽgalitŽ
substantielle, qui peut lŽgitimer des dŽrogations ˆ l'ŽgalitŽ formelle).
4)
la protection des minoritŽs linguistiques en Italie est jusqu'ˆ ce jour
encadrŽe par des normes – de rang constitutionnel – prŽvues par
chacun des cinq statuts spŽciaux des rŽgions douŽe dÕune autonomie
diffŽrentiŽe, ou par la loi Žtatique de 1999 portant sur la protection des
minoritŽs linguistiques historiques, mais aussi par des lois spŽcifiques comme la
loi de 2001 concernant la protection de la minoritŽ slovne. Cette protection
des minoritŽs linguistiques en Italie a ŽtŽ mise en Ïuvre ˆ travers un systme
pluriel dÕinstruments juridiques, parfois trs diffŽrentes selon les minoritŽs
concernŽes, mais a en revanche cette protection vise seulement les minoritŽs
dont les membres sont concentrŽs dans une zone bien dŽterminŽe du territoire
italien et elle emploie les instruments classiques de minoritŽs dotŽes d'un
territoire spŽcifique.
5)
La minoritŽ rom et sinta prŽsente en Italie a jusqu'alors ŽtŽ privŽe des
normes lŽgislatives de protection exigŽes par la constitution italienne pour chaque minoritŽ (et par les normes
internationales) en raison de l'inapplicabilitŽ de la Loi de 1999 sur les
minoritŽs linguistiques historiques qui, pour chacune d'entre elles, se fonde
sur l'enracinement sur un territoire dŽterminŽ-, ou en raison de
l'hŽtŽrogŽnŽitŽ de la condition juridique des membres de la communautŽ prŽsents
en Italie (citoyens italiens, citoyens de l'Union europŽenne, citoyens extra
communautaires, apatrides), ou encore en raison de l'hŽtŽrogŽnŽitŽ des modes de
vie des membres de la communautŽ (sŽdentaires ou itinŽrants).
6)
Les hypothses que nous avons ŽlaborŽes s'appliqueraient ainsi ˆ tous les
membres prŽsents en Italie de la minoritŽ concernŽe, qu'il s'agisse de
ressortissants italiens ou non; ces mesures prŽvoient Žgalement certaines
modifications de la lŽgislation sur la citoyennetŽ (rendre entre autre possible
que les fils d'apatrides de facto nŽs en Italie puissent de droit obtenir la
nationalitŽ italienne, problŽmatique aux consŽquences au mieux dramatiques, qui
concerne des milliers de Roms provenant de l'ex-yougoslavie), ainsi que des
modifications sur la lŽgislation italienne sur les Žtrangers, afin dÕempcher
que certains modes de vie traditionnels de certains Roms et Sinti (l'itinŽrance
par exemple) ne puissent tre considŽrŽs comme ŽlŽment de dangerositŽ sociale
empchant tout sŽjour rŽgulier des ressortissants concernŽs.
7) Par ailleurs et
avant toute chose : en Italie l'absence d'une loi spŽcifique pour la protection
et l'ŽgalitŽ des chances concernant la minoritŽ rom et sinti a ˆ la fois permis
et conduit ˆ des applications discriminatoires de la loi, ˆ une marginalisation
et une ghetto•sation substantielles de la minoritŽ, ainsi qu'ˆ des pratiques
rŽpressives, dŽrogatoires et exceptionnelles adoptŽes par les pouvoirs publics
dans une logique de lÕEtat d'urgence, d'ailleurs rŽcemment annulŽes par le
Conseil dÕƒtat, qui dans son arrt souligne en quoi la politique
gouvernementale italienne Žtait menŽe dans un contexte juridique autant
caractŽrisŽ par sa complexitŽ que par son manque de clartŽ. Et c'est
prŽcisŽment cette absence de clartŽ du cadre lŽgislatif qui a imposŽ aux Roms
de longues annŽes d'attente avant de jouir de leurs droits lŽgitimes.
8) La seule
possibilitŽ de long terme que selon nous est juridiquement possible afin de
dŽnouer les complexes problŽmatiques juridiques de la condition des Roms et
Sinti en Italie se rŽvle donc tre une loi spŽcifique; considŽrant en cela et
ˆ titre d'exemple, que l'ajout de la minoritŽ rom ˆ la loi sur les minoritŽs
linguistiques historiques prŽvoyant des mesures de protection uniquement
applicables sur des territoires peuplŽs des membres d'une minoritŽ dŽterminŽe,
ne ferait en effet que maintenir la minoritŽ rom et sinti sans protection
effective, pŽrennisant de la sorte une situation dŽjˆ actŽe : ˆ savoir celle
d'une minoritŽ livrŽe ˆ des logiques de ghetto•sation, de marginalisation et de
rŽpression, ainsi qu'ˆ des applications discriminatoires de la loi.
9) Mais peut-tre
est-il ˆ ce stade utile d'expliciter, ce dans le soucis d'Žviter quelque
Žquivoque que ce soit, qu'en vertu des prescriptions de la convention
europŽenne sur les droits des minoritŽs, l'appartenance ˆ la minoritŽ relve de
la volontŽ de chacun et ne dŽpend pas dans le cas d'espce de la connaissance
et de l'usage de la langue Romanes dans ses diffŽrentes variantes. Tout Rom ou
Sinti prŽsent en Italie, s'il le veut, peut faire valoir ses droits
fondamentaux de citoyen ou alors peut en plus bŽnŽficier de mesures spŽcifiques
de protection plus importantes prŽvues par la loi elle aussi spŽcifique.
Comprendre la
complexitŽ juridique et avant tout les spŽcificitŽs institutionnelles d'un pays
certes peut il est vrai appara”tre fort onŽreux. Et qui par ailleurs en Italie
n'aurait jamais pris cette peine ne peut gure se prŽvaloir d'avoir conclu
quoique ce soit de durable avec et pour les Roms ou Sinti. En Juin 2010, nous avons
pris le soin d'organiser un colloque international ˆ Milan, de trois jours,
prŽcisŽment dans le but d'expliciter en dŽtail les mŽandres juridiques auxquels
les problŽmatiques en jeu se trouvent confrontŽes, avant de poursuivre notre
travail pour finalement aboutir ˆ la rŽdaction de ces deux volumes. Et c'est
tout sauf un hasard, si ces derniers demeurent ˆ ce jour le seul et unique
ouvrage disponible traitant de la condition juridique des Roms en Italie, ce en
65 ans de rŽpublique.
Nous demandons de bien
vouloir prendre le temps et la peine de consulter notre travail afin de
comprendre la complexitŽ spŽcifique du systme juridique italien et sur cette
base, les motivations nous ayant conduit aux hypothses portant ce projet de
loi si durement critiquŽ.
Nous ne retiendrons
enfin en aucun cas ici ce dernier comme ethnicisant, mais au contraire elle nous semble la matrice juridique
de base et jusqu'alors inŽdite en Italie, d'une protection substantielle,
durable et effective.
Paolo
Bonetti (professore associato de droit constitutionnel, Universitˆ degli Studi
di Milano-Bicocca), Alessandro Simoni (professore associato de droit comparŽ, Universitˆ
degli Studi di Firenze) e Tommaso Vitale (associate professor de sociologie, Sciences
Po)